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L E S B A L U B A

Kabwende Kyéngé Kisoke

Salut, je suis Kabwende Kyéngé Kisoke

Fondateur

L’histoire politique et sociale ainsi que l’expansion des Baluba, couvrant la période allant de la création de l’humanité en passant par celle de la période de l’an 400 de notre ère jusqu’à ce jour, que je m’efforce de narrer avec la plus grande précision, s’inscrit dans la continuité historique de la conscience collective kiluba. Cette histoire nous est transmise par les Anciens et les membres éminents de la confrérie Mbudye.Quand et comment en vins-je à écrire, narrer et raconter ce récit historique d’un caractère politique et social, éclairant l’origine de l’organisation politique et sociale de notre peuple ? Ce fut lorsque j’atteignis à peine l’âge de la raison historique, entre les années 2011 et 2015. Né au sein de la famille royale de Kabongo, je fus, à cette époque, attiré par l’histoire locale.

Mon attention fut captée par les artefacts de Lukasa que ma grand-mère conservait jalousement. En les contemplant, je fus spontanément animé du désir de déchiffrer le contenu de ces artefacts. Hélas ! ma grand-mère me disait toujours : « Grandis et deviens membre de la confrérie Mbudye. » Malheureusement, au lieu de chercher à m’initier auprès des membres de la confrérie chargés de l’initiation et de l’interprétation, je me précipitai, en 2003, pour aller à l’école primaire de mon village : l’École de Mwenda Mukuma.

Après avoir terminé l’école primaire avec mention très bien, je commençai à vagabonder dans la sous-région, allant d’un village à l’autre sans but spécifique. Mais ces voyages me permirent de découvrir notre pays traditionnel le Buluba et surtout cela fut une occasion pour moi de rencontrer les anciens qui étaient les dépositaires de notre histoire ancienne.

J’intégrai l’Institut Ndayi en 2010, et une année plus tard, en tant qu’élève appliqué, ma grand-mère me présenta au Grand Chef Kabongo. En tant que membre de la lignée royale et prince héritier de ce royaume, le Grand Chef me déclara : « Tu dois connaître notre histoire pour pouvoir diriger notre peuple lorsque ton temps arrivera. » Ces paroles résonnèrent en moi comme un devoir impérieux.

Je m’appliquai alors à mes études littéraires dans le but de poursuivre des études approfondies en histoire des Baluba. Le destin voulut que je me rende à Lubumbashi dans l’espoir de bénéficier d’une éducation supérieure de qualité. Cependant, les conditions de vie citadine furent loin de répondre à mes attentes. Ainsi, je me vis contraint de quitter mon pays.

En 2012, je quittai Lubumbashi pour l’Afrique du Sud. Dès lors, commença un périple à travers le continent africain, me menant de l’Afrique australe à l’Afrique du Nord, en passant par l’Afrique orientale et occidentale. Je débarquai à Rabat, la capitale marocaine, le 24 novembre 2014, après avoir traversé une vingtaine de pays africains.

J’avais pour objectif de retourner à l’école et me résignai à atteindre ce but en recherchant passionnément un établissement scolaire. Ce ne fut pas chose aisée. Néanmoins, je rencontrai une Belge qui m’accepta dans son école secondaire. Ainsi, je repris mes études secondaires en 2015 et obtins mon baccalauréat français en 2018. C’est aux lycées Petit Collège et Descartes de Rabat que je pris pleinement conscience de l’importance de l’histoire. Toutefois, je ressentais un vide persistant chaque fois que mes professeurs abordaient l’histoire de l’Afrique.

Je ressentais une sorte négation ou d’interprétation biaisée de l’histoire africaine et surtout des cultures africaines. Il fallait combler ce vide. Ainsi se cristallisa ma détermination à poursuivre des études en histoire africaine. Après avoir terminé ma licence à Rabat à l’Université Mohammed V de Rabat, j’obtins une bourse espagnole pour effectuer un master à l’Université de Las Palmas de Gran Canaria en Espagne.

Dès le premier jour de l’Université, mon attention fut captivée par l’interprétation de l’histoire africaine, et notamment celle des Baluba. Je constatai des confusions, des lacunes, des sous-estimations, etc. Cela était traumatisant. Il me fallait alors retourner à la source, auprès des Anciens dans mon pays natal c’est-à-dire dans le Buluba pour rencontrer les anciens et les mémorialistes officieux de notre histoire ancienne. Avec l’aide de l’Université et des autres professeurs désirant connaître l’histoire kiluba, j’obtins un financement de recherche.

Voici, en quelques mots, qui je fus et ce que je suis.

Pour mieux écrire et coordonner les faits que j’entreprends de relater, il aurait d’abord fallu être membre de la confrérie Mbudye. Étant prince et ayant des grands-parents membres de cette confrérie, la question ne se posait donc pas de manière insurmontable pour moi. J’intégrai la confrérie en 2020 et commençai par suivre la formation. Celle-ci me permit de tisser des relations solides, fondées sur la confiance des anciens et des aînés de notre communauté, détenteurs d’une mémoire remarquable et lucide.

Toutefois, en m’obstinant à élucider, déconstruire certaines versions et éclaircir certaines confusions concernant l’histoire des Baluba, je compris que je devais non seulement m’appuyer sur les faits et gestes des chefs de mon royaume de Kabongo, mais aussi remonter aux origines de l’histoire politique, sociale et de l’expansion de notre peuple. Pour ce faire, il me fallut étendre mon champ de recherche à l’ensemble du pays des Baluba, afin de recueillir les informations historiques les plus diverses, en menant des investigations approfondies auprès des anciens et des membres des confréries secrètes encore existantes dans notre pays d’origine, le Buluba.

Outre les renseignements, commentaires et déclarations recueillis au palais royal du Grand Chef Kabongo, auprès de ma grand-mère (âgée aujourd’hui de 108 ans) et de personnalités éminentes encore en vie, j’ai également eu recours à une documentation écrite. Les premières sources sont constituées des ouvrages et articles des premiers explorateurs et administrateurs belges, puis, dans un second temps, des chercheurs africains.

Dans ce cadre, nous avons eu l’occasion de rencontrer plusieurs professeurs éminents. Le professeur Kabuya Lumuna Sando, aujourd’hui décédé, nous a initiés à la méthodologie sociologique des sociétés africaines. Le professeur Lukanda Lwa Malale, historien, linguiste et spécialiste de l’histoire et de la culture des Baluba, nous a également été d’un grand secours. À l’Université Libre de Bruxelles, Pierre Petit nous a accueillis dans son bureau et nous a offert deux ouvrages précieux : Les Baluba et Balubaïsés du Katanga d’Edmond Verhulpen et Rainbow and Kings : A History of the Luba Empire to 1891 de Tom Q. Reefe. Pierre de Maret, archéologue, ethnologue, anthropologue et ancien recteur de l’Université Libre de Bruxelles, nous a reçus chez lui. Là ont débuté nos échanges sur la critique scientifique de l’histoire des Bantous, et il nous a ouvert sa bibliothèque personnelle, où nous avons puisé des informations précieuses. Enfin, à Cambridge, nous avons rencontré le professeur David Maxwell, historien et spécialiste de l’histoire de l’Afrique australe, qui a beaucoup travaillé sur les Baluba. Il nous a généreusement offert son livre : Religious Entanglements: Central African Pentecostalism, the Creation of Cultural Knowledge, and the Making of the Luba-Katanga.

Il convient de souligner que l’étude de l’histoire des Baluba requiert une approche complexe, intégrant des faits historiques avérés, des dimensions spirituelles et superstitieuses, ainsi que des considérations d’expansion, de rationalité politique et sociale. Les récits historiques des Baluba présentent ainsi une double facette, oscillant entre dimension religieuse et historique. Nombreux sont les premiers chercheurs et explorateurs qui ont rencontré des difficultés à démêler l’intrication du religieux et du politique.

Cette complexité justifie l’argumentation avancée par Luc de Heusch en 1972 concernant l’origine mythique de l’État des Baluba, argumentation soutenue quelques années plus tard par Tom Q. Reefe en 1981. Depuis lors, la littérature scientifique traitant de l’histoire politique des Baluba s’est focalisée sur les figures mythiques qui auraient servi de fondement à l’État kiluba.

Ces auteurs ont développé leurs interprétations selon une logique qui semble négliger la perspective historique des autochtones. Au cours des soixante dernières années, le champ de la recherche sur l’État kiluba a été dominé par des chercheurs non-Baluba, dont les travaux ont souvent remis en question l’existence physique réelle des premiers fondateurs de cet État.

Un autre aspect essentiel à souligner est la transmission des récits oraux par les chefs et certains anciens. Tout historien aspirant à explorer l’histoire des Baluba doit faire preuve d’une extrême prudence à l’égard des narrations des grands chefs. Nombre d’entre eux ne sont pas totalement transparents quant à leur légitimité historique, comme en témoigne le cas du chef Kayamba. Les autorités belges, en quête d’un chef docile pour collaborer avec l’administration coloniale, choisirent un commerçant du nom de Kayamba et l’intronisèrent comme chef, titre qui demeure depuis lors dans sa famille. Cependant, interrogé sur son autorité, ce chef prétend que son ascendance remonte à une époque antérieure à l’arrivée des Belges, assertion historiquement infondée.

D’autres chefs revendiquent une suprématie sur leurs pairs, mais une investigation approfondie révèle souvent l’absence de justification évidente pour cette supériorité. Ainsi, tout chercheur averti est vivement encouragé à scruter minutieusement les informations collectées.

Rappelons que la plupart des récits historiques kiluba ont été autrefois consignés par les missionnaires. Il est concevable qu’un chef intellectuel comme ceux de Kinkondja, Kabongo, Kanyama, Kabongo et Kasongo Nyembo se réfère aux archives de ces missionnaires pour justifier leur légitimité. C’est pourquoi nous avons délibérément opté pour la collecte d’informations auprès des anciens non-scolarisés vivant dans des régions éloignées des centres où se sont déroulés les événements et où prévalait la domination coloniale.

Prôner la retenue à l’égard des données orales ne signifie pas pour autant adhérer de manière aveugle aux écrits des chercheurs et autres sources. Il est également essentiel de reconnaître la valeur persistante de la littérature orale, tout en étant conscient que certains anciens ont pu altérer les faits historiques. De même, il serait simpliste de croire que des auteurs étrangers à la culture kiluba puissent raconter l’histoire des Baluba sans influencer leur interprétation et leur perception. Nous avons donc adopté une approche critique à la fois vis-à-vis des données orales et des interprétations académiques. Dans cette optique, nous avons volontairement omis les anecdotes et légendes associées à la spiritualité et à la mythologie dans notre essai, afin de préserver son caractère historique rigoureux.

Ayant vu le jour et grandi au sein d’une lignée familiale étroitement entrelacée avec l’histoire de l’État Kiluba, en tant que descendant des familles de Bambudye et de Twite, et ayant été initié à l’histoire kiluba par les Bitobo, gardiens de cette histoire étatique, j’ai pris conscience de l’impératif de questionner le récit enseigné dans les établissements scolaires. Cette vigilance m’a incité à rétablir la vérité sur certains aspects historiques en me fondant sur de nouvelles données collectées auprès des Bitobo et d’autres personnalités respectées.

À travers l’étude des œuvres d’éminents africanistes tels que les égyptologues Cheikh Anta Diop du Sénégal, son disciple Théophile Obenga du Congo-Brazzaville, ainsi que Jean-Paul Pougala du Cameroun, Patrick Loch Otieno Lumumba du Kenya, et d’autres encore, qui défendent l’idée que les Africains doivent écrire leur propre histoire, j’ai compris qu’il revient à chaque Múlúba de présenter une version basée sur les récits traditionnels kiluba et les témoignages des Bitobo encore vivants dans le Buluba.

Conformément à ces éminents africanistes, l’histoire kiluba requiert une révision approfondie par les Baluba eux-mêmes, basée sur une analyse scientifique de l’oralité et une interprétation critique des premiers écrits, qu’ils soient des missionnaires européens ou des autochtones africains. Ce qui suivra à travers ces pages se démarquera nettement des affirmations des premiers auteurs concernant l’État Kiluba et la civilisation des Baluba. Ainsi, l’objectif de cette étude est d’explorer le processus historique de la construction sociale et de l’État des Baluba depuis le mythe de la création de l’humanité jusqu’à ce jour.

Fondateur :

Kabwende Kyéngé Kisoke, Prince du Royaume de Kabongo, Historien et Ethnologue, Chercheur en Histoire des Civilisations Africaines, Essayiste en Géostratégie Internationale et panafricaine