Il semble crucial de définir le lexique que nous adopterons dans cet essai.
Sur le plan scientifique et académique, les chercheurs utilisent le terme « Luba » pour désigner soit le peuple Múlúba, soit la culture associée. Ils écrivent : « peuple Luba », « empire ou royaume Luba », etc. Ces appellations non seulement sont insultantes, choquantes pour les autochtones, mais elles ne reflètent pas non plus la réalité de que les auteurs veulent exprimer comme pensée de leur recherche.
Il est donc plus qu’important de faire l’archéologie de ces termes pour bien permettre aux scientifiques qui sont étrangers à la culture kiluba de bien saisir et assimiler dans leur recherche le sens culturel de mots kiluba qu’ils utilisent dans leur recherche. Et pour ce faire, nous empruntons l’explication fournie par le professeur Lukanda Lwa Malale.
Acceptions traditionnelles du vocable LUBA
- Forme substantive
- Forme substantive
Il est un substantif formé de la syllabe LU qui est un préfixe nominal de la classe 6 et de BA qui est, lui, un thème nominal qui signifie maladie, souffrance physique, morale ou spirituelle, en kiluba, misongo.
Au pluriel, il devient MBA. Il suit la règle normale de mise au pluriel des mots commençant par le préfixe LU qui se transforme en M devant les radicaux débutant par les consonnes P, B, V, F, M… ou N devant les radicaux commençant par les consonnes L, S, T, N… Les exemples sont légion : lukunde (le haricot) devient nkunde, les haricots ; lubao, la fosse-trappe, devient Mbao, les fosses-trappes ; lufimbo, le fouet devient Mfimbo, les fouets.
- Grammaire de LÚBA
Grammaticalement, le terme LÚBA est une forme impérative à la deuxième personne du singulier du verbe kúlúba au temps présent dans sa triple acception.
Lúba se traduit par : égare-toi, perds-toi au sens physique du verbe français « se perdre » sur un chemin matériel à travers une brousse touffue, une forêt obscure…
Lúba peut aussi signifier : fais gaffe, perds de vue, oublie dans le sens de « ne fais pas d’erreur » !
Et, Lúba peut autant dire : enfreins une loi spirituelle, pèche, méconduis-toi.
Parler dans cette vision de royaume lúba serait compris comme royaume fais-gaffe, royaume perds-toi, royaume-transgresse-la-loi, royaume-pèche… Ce qui sonne très mal aux oreilles des Balúba locuteurs du kilúba, géniteurs de ce royaume, et connaisseurs de la langue et de la culture kilúba. Cela passe pour une offense très mal digérée par leur âme collective.
Terme Múlúba
Quant au terme MULÚBA, il est formé de MU comme préfixe nominal de classe1, de LÚB comme radical du verbe kulúba, se perdre, oublier, transgresser une loi sociale, morale ou spirituelle, et de A, la finale de ce verbe. Au pluriel, Múlúba devient Balúba et non Mba qui est une forme plurielle de LÚBA, maladie en langue kiluba.
En clair, LÚBA (misongo ou maladie) et MULÚBA (personne autochtone du Bulúba) ne sont pas des termes du même champ sémantique. Ce sont, au contraire, deux substantifs différents aux deux sens également distincts.
Par conséquent, il ne sied pas d’utiliser l’un à la place de l’autre ou l’un pour l’autre. Car, en disant et en prononçant royaume LÚBA, ce dernier mot jouant le rôle d’un adjectif épithète, il désigne directement la maladie (misongo en kilúba) ou la forme impérative du verbe kúlúba au sens de « fais gaffe ». Il ne vise aucunement la personne humaine (mulúba), la langue de ce peuple (kilúba) ou le pays de cette nation (Bulúba).
Le Royaume lúba aura pour sens royaume maladie ou royaume fais-gaffe ; l’homme lúba sera traduit par l’homme maladie ou l’homme fais-gaffe ; le pays lúba se rendra en français par le pays maladie ou le pays fais-gaffe ! Ce qui est injurieux, voire offensant et pour nous-mêmes, les Balúba balopwe, et par nous-mêmes également, chaque fois que nous, nous qualifierons notre propre royaume kilúba du royaume LÚBA.
Hymne héroïque
L’hymne héroïque développe et explique le terme MULÚBA dans une forme stéréotypée, conformément au génie culturel kiLÚBA. La première et la deuxième strophe de cet hymne multiséculaire qui s’apprenait dans les camps de circoncision kiluba (Kwiisao).
Le proverbe ne s’énonce pas comme plusieurs, voire Baluba, le pensent : « Múlúba walubile mashinda, walubile enka ne diya kwabo », l’homme Múlúba qui avait perdu le chemin, qui avait perdu même celui qui va chez eux. Non ! Le texte multiséculaire est sacré. Nul n’est autorisé à le modifier, ne serait-ce que d’un iota. Sa structure originelle s’impose, car elle véhicule un sens que de petites modifications peuvent altérer à coup sûr. S’il était « waLÚBile mashinda », nous serions des BaLÚBE et non des BaLÚBA. Car, l’expression « waLÚBA mashinda » n’est pas un passif « MuLÚBe mashinda » dont l’action serait complètement accomplie et entièrement achevée dans l’espace et dans le temps. « WaLÚBA mashinda » correspond parfaitement à « uLÚBanga mu kanwa », qui se trompe en parole. On ne dit point, « waLÚBile mu kanwa » ou « Ulúbile mu kanwa », qui s’était trompé dans la bouche (en paroles) !
« Walúba mashinda » marque un présent continuel, une tradition, une coutume, une habitude ou mieux une nature, une essence. L’action n’est ni circonscrite dans l’espace, ni limitée dans le temps de manière ponctuelle. Elle s’actualise dans la modalité d’être de tout muluba rattaché à la personne de Ilunga Nshi Mikulu. Elle traduit l’être intrinsèque de l’homme muluba de partout et de toujours.
Nom de personnes KILÙBA et LÙÙBA
Le nom LÙÙBA, courant dans le Bulúba, ne provient pas du verbe Kulúba. Il n’est même pas du même champ sémantique. Lùùba dérive du verbe Kuùba, faire, agir, effectuer. Lu est un préfixe nominal de l’ancien kilúba qui est généralement, aujourd’hui, remplacé par le préfixe MU.
Dans le même sens, on emploie les expressions archaïques comme « Vidye Lubunda mibidi ya bantu », Dieu le potier des corps humains ; « Sendwe lufula mbembo ne tudyubu », l’artisan qui forge les gons à doubles clochettes ainsi que les boucles d’oreilles ; « Lwishi mmumbu pa ditembwe, Lukunka njila ke mwaneenu » , mouche-maçonne, donne à la guêpe. La mouche qui parcourt les sentiers n’est pas de ta parenté. « Lumuna mae ne matambo », l’éleveur des léopards et des lions ; « Nyumbu wa lukonga tonyi », le tourbillon qui rassemble les oiseaux.
Le mot LUBA, écrit sans accent, prête à confusion. Il ne permet pas de déterminer s’il s’agit de LUBA maladie, de LUBA, forme impérative à la deuxième personne du singulier du verbe kulúba, perds-toi, ou de Luba, dérivant du verbe KUÙBA, agir, faire, lui-même distinct de KÚÙBA, se taire, garder silence. Dans cette dernière sémantique, LÙÙBA signifie celui qui garde silence, le taciturne, celui qui se tait.
Ignorant que le kiluba était une véritable langue à ton et que ses tonèmes sont des éléments grammaticaux et sémantiques spécifiques de formes et de sens, Père Pierre Colle avait commis l’erreur de penser que le vocable Baluba signifiait Bantu ba Lúùba, les sujets du chef LÚÙBA (Colle, 2021 : 2-5). De la même manière que LÙÙBA (celui qui tait, qui garde secret) n’est pas LÚÙBA (celui qui agit) de même LÚBA, maladie, n’est pas non plus la forme impérative à la deuxième personne du singulier du verbe kuluba pour dire « fais gaffe ». En clair, Kilúba, langue ou style de l’ouvrage de création des Baluba, n’est pas à confondre avec le nom identifiant les personnes humaines KÍLÙBA. Ce nom KÍLÙBA est composé du préfixe nominal KI de l’ancien kiluba également. Aujourd’hui, ce préfixe est généralement remplacé par le préfixe MU. Les exemples sont pareillement légions. A la lumière de ce qui précédé, nous adoptons le lexique suivant :
- Peuple Múlúba / Baluba et non pas peuple Luba ;
- Femme Múlúba et non pas femme Luba ;
- Culture kiluba et non pas culture Luba ;
- Buluba et non pas pays Luba
- Empire / Royaume kiluba et non pas empire Luba
- Mariage kiluba et non pas mariage Luba ;
Le terme « Kiluba » est polysémique et revêt plusieurs significations dont l’usage varie selon le contexte dans lequel il est employé. Ce mot peut désigner l’identité, le système civilisationnel, ou encore des objets matériels tels que des céramiques, chaque sens étant déterminé par le cadre d’utilisation. Par exemple, « matamb’a kiluba » renvoie au maïs traditionnel. Ce terme désigne aussi le nom de personnes « Jean Kiluba » est un nom de personne, « Kisuku kya kiluba » désigne une poterie de style baluba, tandis que le terme peut également revêtir une dimension culturelle et politique, comme dans « Bulopwe bwa kiluba », une institution politique autochtone des Baluba. Dans le cadre de notre étude, le terme « Kiluba » fera référence à l’identité sociale ou ethnie, civilisationnelle, système politique et valeur culturelle des Baluba.
Baluba pluriel (Múlúba au singulier) est l’ensemble des personnes qui composent l’ethnie dont la langue et les us et coutumes sont kiluba. C’est un peuple homogène culturellement, politiquement et historiquement qui a une conscience commune et dont l’ancêtre commun est Ilunga Nshi Mukulu et sa femme Mbuyu Kibumbwe Longo dont la tradition place à la genèse de l’humanité.
Commentaires