EN DIRECTION DE L’OUEST
LES BALUBA DU LWALABA
Dans cette direction de l’Ouest, très nombreux furent les Baluba qui envahirent et transformèrent le pays des Balunda (Arrund). Ici aussi, c’est une fois de plus Crine-Mavar qui nous en donne un meilleur éclairage :
« En fait, les infiltrations des Baluba Shankadi furent numériquement plus importantes que les traditions historiques, trop exclusivement axées sur Tshibind Irung, ne le laissent supposer de prime abord. Après le mariage de Ruwej avec Tshibind Irung, plusieurs membres de l’escorte du Muluba furent revêtus d’une dignité qu’ils exercèrent transitoirement au profit du couple chéfal. Ces dignitaires résidèrent au village chéfal et furent les fondateurs éponymes de nombreux titres : mentionnons notamment : Mwadi mwish, le cuisinier (du Mwat Yav), Mbwambu, le fabricant de toxines pour les flèches, Balond et Nfurusang, gardiens de la porte avant l’enclos (impérial), Kambaj, sacrificateur etc. D’autres membres de l’escorte de Tshibind Irung furent faits seigneurs ou Ayilol ; mentionnons notamment : Mwin Tshitazu, Mwin Isun, Mukaleng Rumbu, Mwin Ijidiji, Mwin Tshibalok, etc. Actuellement encore, toutes ses seigneuries inaugurées par des purs Baluba Shankadi dessinent une masse compacte, localisée à l’Est de la Kalagne, sur ces terres qui furent le théâtre de la rencontre de Ruwej avec Tshibind Irung, surtout le théâtre d’événements qui déterminèrent les naissances de l’empire lunda. (…) .
Ainsi, conséquence capitale du mariage de Ruwej avec Tshibind Irung, de nombreux Baluba Shankadi furent créés dignitaires et résidèrent au village chéfal. Parce que le prestige de Tshibind rejaillissait sur eux, parce qu’ils étaient nombreux, parce que l’importance de leurs charges imposait le respect, parce qu’ils épousèrent des femmes aruund, tous ces dignitaires contribuèrent lentement à la diffusion et à l’implantation des concepts patrilinéaires dans le système quasi matrilinéaire des Aruund d’alors[1] ».
Il est donné d’imaginer ici que c’est partant d’une petite chefferie, regroupant quelques villages, que les Baluba vont générer, ainsi que l’indique Obenga, un empire puissant et rayonnant par sa puissance armée, qui plus est porté par un génie politique remarquable dans le chef de l’un des leurs fils prestigieux devenu souverain des Balunda :
« Autrement dit, ce sont les luba qui apportent leur institution royale et leurs techniques d’organisation aux Lunda, qui fondent à leur tour, au XVIIe siècle, un vaste royaume du Kwango au lac Moéro[2] ».
Comme le précise pour sa part Marie-Louise Bastin :
« L’arrivée du prince (Kibinda Ilunga) au pays Lunda apporta les fondements de la sacralité du pouvoir, une organisation étatique plus structurée et des techniques de chasse plus élaborées et efficaces, basées sur un armement davantage perfectionné, ainsi que l’utilisation des charmes propices à la découverte du gibier[3] ».
A ce même propos Théophile Obenga ajoute :
« Les traditions orales sont complexes, traditions relatives aux royaumes lunda (aruund) qui sont considérés comme l’expansion luba vers le sud, sous le commandement des chefs Musokantanda, Shinde et Kanongesha, qui élargirent les frontières du royaume jusqu’aux sources du Zambèze. Autrement dit, les luba apportent leur institution royale et leurs techniques d’organisation aux lunda, qui fondent à leur tour, au XVIIe siècle, unvaste royaume du Kwango au lac Moéro[4] ».
C’est là que l’on comprend la position de Vansina lorsqu’il affirme :
« La meilleure source Bemba connue à ce jour, le panégyrique de Nkole wa Mapembwe, second roi ou Citimukulu, manifeste son accord avec la tradition citée lorsqu’il dit : «Nkole wa Mapembwe…tu étends le pays Lunda. Tu es un vrai chef Luba[5] ».
C’est dire que c’est en versant leur sang tout en usant de leur génie militaire que les guerriers et chefs d’armées Baluba ont pu étendre l’empire luba-lunda dans toutes les directions.
Une interrogation demeure, cependant, celle que soulève Burton :
“Sa soeur (de Mbidi Kiluwe) Mwanana qui, en l’absence de son frère, craignait de demeurer dans un milieu hostile, avait réuni une escorte et s’était mise en devoir de réjoindre Mbidi Kiluwe, mais elle avait perdu ses traces au Lovoi et, poursuivant son voyage, elle avait atteint la région des Balunda où elle devint une des femmes du chef.
De nos jours encore, le peuple luba considère Mwata Yamvo, chef des lunda, comme un parent par alliance ou “buko”, tandis que le chef Kabongo l’appelle “mon frère[6]”.
De quel chef était devenue épouse cette soeur de Mbidi Kiluwe ? S’agissait-il du père de Lweji? Si tant est que celle-ci porte un nom kiluba, celui d’une rivière et de l’esprit tutélaire de cette rivière qui coule sur la terre du village Nkimbi, chef-lieu du Groupement de Ngangole, Territoire de Kabongo ! Pour nous en convaincre, il suffit de réécouter un couplet de l’hymne héroïque de ce terroir, précisément dans le passage que voici :
« Wa ku bafwa kebeje kwiya. Beyumba kuta ka nyambwe. Kwabo ku nshimbi ne lweji »
Trad. « L’autochtone du pays où les défunts ne tardent pas à venir (= renaître par le nom). Pays où on pratique la pêche à l’hameçon dans les cours d’eau de la (rivière) Nshimbi et de la (rivière) Lweji ».
Est-ce parce qu’elle avait dans ses veines le sang Muluba que Lweji était tombée amoureuse d’un homme qui lui rappelait l’origine noble de sa mère Mwanana ? Est-ce pour vivre à côté de sa parente que Kibinda Ilunga s’était fixé définitivement à la cour du chef des Balunda ? Ce n’est pas impossible !
Toujours est-il que l’histoire, selon Crine-Mavar, dépose dans ce sens :
« Assise au milieu de ses Tubungu, Ruwej reçut Tshibind derrière lequel se pavanait la haie des membres de sa suite. La jeune chéfesse considéra longuement le chef de ces étrangers et pensa qu’il ne manquait pas d’attrait. Puis, elle lui indiqua une natte et selon la coutume, elle lui offrit du vin de palme. Mais Tshibind ne but pas. Les gens de sa suite apprirent à Ruwej que Tshibind était prince de l’empire des Baluba Shankadi et que, selon leur coutume, il ne pouvait boire ni manger en public[7] ».
Le même Crine-Mavar nous informe, et la précision est importante, qu’avant d’atteindre la région des Lunda, il préexitait un autre peuple qui avait été investi par les Baluba :
« Pendant que Tshibind Irung et son escorte s’implantaient parmi les Aruund, des événements fort semblables à ceux que nous venons de relater se déroulèrent parmi les Ampimin. Un jour, un chasseur originaire des contrées riveraines du lac Upemba atteignit le territoire des Ampimin et fut présenté à la chéfesse Mwadi Kapuk. L’étranger reçut fort naturellement le nom de Tshibind Mpemba (littéralement : le chasseur de l’Upemba) et eut l’air de plaire à la chéfesse qui l’épousa. De cette union naquit un fils, Makonga, qui hérita du pouvoir et fut le fondateur éponyme du titre de Kayembe Mukulu, le chef suprême des Ampimin. Au cours d’une guerre contre les Amalas, à Tshimbalanga, Makonga combattit si fougueusement et taillada tant ses adversaires qu’il mérita le nom de Kayembe (celui qui taillade) dérivé de dyembe, la lame[8] ».
Dans la même région, cette fois à l’Est du Territoire de Sandoa dans le district de Lwalaba, vivent, aujourd’hui encore, les Baluba de Kayembe Mukulu ou Ampimin ; ils parlent kiluba.
LES BALUBA DU BANDUNDU
De la même façon que l’expansion de l’empire lunda était soutenue par les chefs et les guerriers Baluba vers le Sud et le Sud-est de l’Afrique, le mouvement migratoire de la branche baluba qui se dirigea vers l’Ouest fut porté et dynamisé par des conquérants.
A propos de cet épisode de la conquête baluba dans le Bandundu, l’historien congolais Nlandu Désiré note :
« Les migrants venus du Katanga étaient des conquérants conduits par le Mwant Mweni Put Kasongo. Ils se retrouveront en confrontation avec les originaires (autochtones du Kwango) qui étaient les Suku, Mbala, Nsamba, Mpindi, Ngongo et Hungana. Toutes ces tribus ont été repoussées du Kwango vers le Kwilu, sauf les Suku qui sont en partie implantés dans le territoire de Feshi. Ces premiers conquérants de l’espace Kwango se nommaient les Baluwa. De là le terme Iluwa, la guerre vient, la bagarre vient[9] ».
La guerre des conquêtes a donc partie liée avec le terme « Iluwa » ou « Muluba ». Entre autres tentative d’explication du terme Múlúba proposée par Edmond Verhulpen, persiste celui de guerrier :
« Le nom de Baluba avait été donné aux guerriers qui accompagnaient Nkongolo en raison de leur férocité, de leur tromperie et de leur ravage[10] ».
Quoiqu’ayant perdu une partie du sens étymologique, il persiste une certaine équivalence entre les termes Baluwa et Baluba ; les consonnes b et w s’inter changeant librement. Est-il que dans la langue kiluba, se bagarrer, combattre, faire la guerre se dit kulwa. La contraction de w et de u aurait donné kulwa au lieu de kuluwa. Les Baluwa, en kiyaka, sont venus avec l’iluwa, c’est-à-dire les conflits, les bagarres, les guerres.
Les Baluba sont des guerriers, en fait des conquérants qui avaient soumis la population locale au moyen de la force armée. De là, il est permis de penser qu’à la suite de ces conquêtes politiques, la culture actuelle des Bayaka résulte du mélange des cultures kiluba, lunda et de celles des populations aborigènes trouvées sur place dans le Kwango.
[1] Crine-Mavar, op. cit, pp. 68.69
[2] T. Obenga, Histoire du monde bantu, in Racines Bantu, CICIBA, Libreville, 1991, pp. 146-147
[3] M.-L. Bastin, in Muntu, révue scientifique et culturelle du CICIBA, Libreville, 1986, p.154
[4] T. Obenga, Histoire du monde bantu, in Racines Bantu, CICIBA, Libreville, 1991, pp. 146-147.
[5] J. Vansina, op. cit., p. 68
[6] W. Burton, op.cit. p. 392
[7] Crine-Mavar, op. cit., p. 66.
[8] Crine-Mavar, op. cit., pp. 67-68.
[9] D. Nlandu, historien originaire de Kasongo Lunda, District du Kwango au Bandundu. Propos recueillis à Kinshasa le 25 octobre 2008
[10] E. Verhulpen, cité par Lufungula, 1981. Inédits.
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