La société Kiluba se trouve profondément ancrée dans une identité linguistique marquée par l’usage du kiluba, langue qui a longtemps servi de langue officielle de l’État. Le kiluba se distingue par sa richesse et sa diversité interne, illustrées par plusieurs dialectes qui témoignent de l’immense étendue géographique sur laquelle cette langue est parlée. Parmi les principaux dialectes du kiluba figurent le kizela, le kine-nkinda, le kyalaba, le kiyashi, le kikalanga, le kihémba, le kikalundwe, le kiholoholo, le kiambi et le kinkunda.
Ces dialectes ne se réduisent pas à de simples variations insignifiantes : ils incarnent des nuances essentielles dans la prononciation et certaines expressions, tout en restant suffisamment proches pour permettre une compréhension mutuelle. Les Baluba, ethnie locutrice de ces dialectes, entretiennent un attachement profond à leur propre version du kiluba. Ainsi, un Baluba de Kabongo privilégiera toujours son dialecte à celui de Malemba Nkulu. Ce phénomène linguistique peut s’expliquer par l’immense superficie géographique du Buluba, qui couvre environ 500 000 km² (Mutonkole, 2007 : 96). En dépit de ces variations dialectales, le kiluba demeure un facteur d’unité ethnique et culturelle pour les Baluba. Quant à la séquence historique, les calculs lexico-statiques ont permis de remonter l’ancienneté de la langue kiluba au-delà de l’an 1 de notre ère (Reefe, 1981 : 74).
Le kiluba ne se limite pas à être un simple outil de communication : il est le dépositaire des mœurs, coutumes, traditions, institutions sociales et spiritualités de la société kiluba. Makonga (1964 : 28) souligne que, pour les Baluba, la richesse du langage dépasse la simple transmission de mots. Depuis des temps immémoriaux, les Baluba ont compris que « rien n’est plus beau, éloquent et original qu’une fable, une histoire, une tradition, un conte ou un jugement narré dans un langage authentique ». En d’autres termes, pour ce peuple, l’authenticité de leur culture réside dans l’usage du kiluba. Cette langue constitue également le vecteur des valeurs fondamentales de la société kiluba, telles que la sagesse, la civilisation et, surtout, les valeurs éthiques. Le kiluba est souvent associé aux principes des « miyala », qui incluent l’équité, la dignité, la paix, l’amour et la fierté. Ces valeurs constituent le socle de la culture Baluba et sont transmises de génération en génération à travers la langue.
L’un des aspects les plus remarquables du kiluba est son immense étendue géographique. Cette langue est parlée sur une superficie d’environ 800 km², sans interférence d’autres langues. Toutefois, en tenant compte des dialectes et de l’aire culturelle où elle prédomine, elle s’étend sur une région totalisant 500 000 km², ce qui constitue une singularité rare. Les linguistes qualifient cette situation de « scandale ou accident linguistique », car il est exceptionnel, tant en République Démocratique du Congo que dans le monde entier, qu’une langue occupe un espace géographique aussi vaste. Cette caractéristique unique place le kiluba en tête des langues congolaises et africaines en termes de poids géographique. Il est d’autant plus notable qu’en 2017, le nombre de locuteurs autochtones du kiluba était estimé à 15 834 000 Baluba, un chiffre impressionnant pour une langue locale (Mutonkole, 2007). Ce chiffre témoigne de l’importance non seulement linguistique, mais aussi culturelle et démographique du kiluba au sein de la société congolaise.
La langue kiluba, au-delà d’être un simple moyen de communication, incarne un patrimoine civilisationnel riche. Elle reflète l’histoire, la culture, les valeurs éthiques et la cohésion sociale des Baluba. L’étendue géographique impressionnante du kiluba, ainsi que le nombre élevé de ses locuteurs, en font l’une des langues les plus significatives de la République Démocratique du Congo et d’Afrique. Sa diversité dialectale, loin de diviser, renforce l’attachement des Baluba à leur langue, soulignant l’importance du langage en tant que gardien des traditions et de la sagesse ancestrale.
Principes fondamentaux de la civilisation kiluba
La philosophie civilisationnelle des Baluba repose sur un ensemble de principes essentiels, regroupés dans les principes de Bulopwe, de Butobo ainsi que de miyala. Les miyala englobent l’équité, la dignité, la paix, l’amour et la fierté. Ces valeurs ne sont pas de simples idéaux abstraits, mais se traduisent de manière concrète dans les structures sociales, la vie quotidienne, et les pratiques rituelles des Baluba. L’équité, par exemple, se manifeste par un souci constant d’équilibrer les intérêts individuels et ceux de la collectivité. Les chefs et les aînés, garants de cette harmonie, veillent à une distribution juste des ressources, tout en respectant les libertés individuelles (Verhulpen, 1936).
Quant à la dignité, elle implique un respect fondamental pour soi-même et autrui, un principe incontournable dans les interactions sociales, y compris dans les relations entre différents peuples. Bien que les Baluba aient parfois été perçus comme belliqueux au cours de leur histoire par les administrateurs coloniaux, leur penchant pour la paix et la réconciliation reste prédominant. En effet, la résolution des conflits chez eux vise avant tout à restaurer l’harmonie sociale, plutôt qu’à aggraver les tensions (Kanampumb, 1981 : 791-810).
Pierre Colle met en lumière l’attachement profond des Baluba à leur liberté, affirmant que« Les Baluba aiment passionnément leur liberté » (Colle, 2021 : 71). Toutefois, cette liberté ne saurait être interprétée comme un individualisme égoïste, dénué d’obligations envers la communauté. La liberté individuelle est pour les Baluba, indissociable d’une forme de responsabilité sociale : chaque individu est libre d’agir selon ses propres intérêts, mais toujours dans le respect des normes sociales édictées par les miyala. Ce libéralisme particulier ne conduit donc pas à un rejet du collectif, bien au contraire. Lorsqu’un intérêt commun est en jeu, les Baluba se mobilisent collectivement pour défendre leur nation ou leurs valeurs. Cette capacité à osciller entre individualisme et communautarisme flexible constitue une caractéristique distinctive des Baluba, qui semblent habilement naviguer entre ces deux orientations. En l’absence d’enjeux communs à défendre, les interactions au sein de la société tendent à être plus libérales, laissant une plus grande marge de manœuvre à l’action individuelle.
Un autre aspect essentiel de la société kiluba est son haut degré de moralité, qualité que Colle attribue volontiers à ce peuple. Il souligne qu’il était rare que les anciens Baluba fussent associés à des comportements immoraux tels que le vol. Il écrit : « Voleurs, ils ne le sont pas, par crainte ; mais ils n’ont pas à redouter un de ces châtiments terribles usités parmi eux, tels qu’amputation du nez et des oreilles. La moralité est relativement bonne. La pudeur existe, à tel point que les enfants des deux sexes ne prennent que rarement leurs ébats ensemble, surtout à la rivière. Une fille est assez réservée devant un garçon. L’habille est simple mais convenable » (Colle, 2021 : 68-69).
Nous rappelons que les écrits de Pierre Colle date de 1898 et son essai fut publié en 1913. Cela témoigne de l’importance des normes sociales strictes qui gouvernent la société, où l’honnêteté et l’intégrité sont des vertus profondément ancrées.
La notion de propriété y est sacrée, et toute infraction à cette règle est sévèrement sanctionnée, non seulement par la loi, mais aussi par la pression sociale. En outre, les Baluba attachent une importance particulière à la propreté physique, considérée non seulement comme un signe de respect de soi-même et des autres, mais aussi comme un symbole de pureté morale. Ce souci de la propreté dépasse les simples apparences et s’étend à une quête de pureté spirituelle et de bien-être moral. Ainsi, certaines critiques de Colle concernant l’hygiène physique des Baluba semblent décalées par rapport à la réalité culturelle de ce peuple, qui valorise une propreté plus profonde et spirituelle.
Ainsi, la société kiluba se distingue par une complexité remarquable, mêlant un libéralisme certain à une cohésion communautaire forte. La philosophie kiluba, fondée sur des principes de liberté individuelle, est toujours encadrée par des responsabilités vis-à-vis de la société. Parlant de la liberté Colle écrit : « Ils (Baluba) n’aiment pas la subordination et ne se gênent pas pour le dire » (Colle, 2021 : 69).
Les valeurs de miyala, telles que l’équité, la dignité, et l’amour, façonnent les interactions sociales et renforcent la solidarité du groupe. Bien que Pierre Colle offre une description pertinente de certains aspects de cette société, il convient de nuancer certaines de ses observations afin de mieux rendre compte de la richesse et de la subtilité de la culture civilisationnelle kiluba. Cette société, située à la croisée du libéralisme et du communautarisme, offre une perspective fascinante sur la manière dont la société kiluba harmonise les intérêts individuels et collectifs, tout en maintenant un sens aigu de la morale et de la justice.
Eléments civilisationnels et culturels kiluba
Depuis deux millénaires, les Baluba ont élaboré une civilisation remarquable, dont l’influence s’est étendue non seulement sur l’Afrique australe, mais aussi sur une partie de l’Afrique centrale.
Fondée sur des bases morales, politiques et culturelles rigoureuses, cette civilisation s’organise autour des principes du Miyala, un corpus de 180 règles sociales qui régissent l’ensemble des aspects de la vie quotidienne, communautaire et politique. Ces préceptes ont permis de maintenir la cohésion et la pérennité de la civilisation kiluba, offrant ainsi un cadre normatif stable et structurant, qui oriente les interactions sociales, garantit le respect des traditions, et organise la société kiluba dans sa globalité.
Les dix premières règles fondamentales du Miyala constituent le noyau des valeurs kiluba, formant la base de leur structure civilisationnelle. Bien que l’exhaustivité des 180 règles ne puisse être exposée ici, il est essentiel de comprendre que leur portée s’étend à tous les domaines de la vie des Baluba d’hier comme d’aujourd’hui à différence près. Ces règles définissent les comportements attendus face aux responsabilités sociales, aux relations interpersonnelles, à l’administration des affaires publiques, ainsi qu’à la spiritualité. Par exemple, elles imposent un respect inconditionnel envers les aînés, promeuvent une gestion juste et équitable des ressources, et prônent la résolution pacifique des conflits.
En outre, elles encouragent la préservation et la transmission des savoirs ancestraux par les différentes confréries secrètes, assurant ainsi à cette civilisation la capacité de se maintenir et de s’adapter aux défis posés par les bouleversements historiques.
Lukanda, un chercheur éminent et spécialiste de l’histoire et culture kiluba, et qui s’est illustré par son rôle dans la transmission de la mémoire collective et des valeurs traditionnelles. À partir des dix premières règles du Miyala, il a dégagé un ensemble de sept qualités fondamentales, qui incarnent l’essence de la philosophie de vie des Baluba. Ces qualités reflètent une profonde réflexion sur les valeurs communautaires et leur rôle déterminant dans la survie, la prospérité et la stabilité du groupe. Elles expriment l’importance de l’équilibre entre l’individu et la collectivité, et soulignent combien la cohésion sociale et la préservation des traditions sont essentielles au succès et à la continuité de cette civilisation.
Ainsi, à travers le Miyala et les enseignements de figures telles que Lukanda, la civilisation kiluba apparaît comme un modèle de stabilité, capable d’évoluer tout en restant fidèle à des valeurs immuables. Ces principes offrent une vision harmonieuse de la vie, où le respect mutuel, l’équité, et la transmission des savoirs constituent les piliers d’une société fondée sur l’interdépendance des membres et l’importance des traditions :
« Buluba signifie, dans un deuxième sens, la qualité d’être Múlúba. Cette posture essentielle comporte sept caractéristiques ou sept marques :
La première marque se formule ainsi : « Buluba i kiluba ». Formule qui signifie à la fois qualité, marque, caractère, essence Múlúba et langue kiluba, ce dernier étant le véhicule de la civilisation des Baluba en tant que peuple.
La seconde marque est exprimée : « Buluba i disao ». Cette distinction est conférée au sortir de l’initiation des jeunes gens. Le versant féminin de ce rite est le butanda ou le bumwadi.
La troisième marque est ainsi traduite : « Buluba i bulopwe ». Procédant du pouvoir impérial, cette distinction est ce par quoi le peuple Múlúba incarné par le Mulopwe (roi de source temporelle et divine à la fois) s’unifie politiquement.
La quatrième marque est ainsi exprimée : « Buluba i mbala : i kujila kudya kidyedye ». Marque fondée sur l’observance stricte de la loi du feu sacré, qui interdit de manger n’importe où, n’importe quand, n’importe quoi, avec n’importe qui. C’est à ce titre que tout Múlúba mâle est appelé de Mwine Mbala, c’est-à-dire maître ou initiateur du Mbala, en tant qu’il participe au Bulopwe (pouvoir temporel) de sa nation.
La cinquième marque est incarnée dans le « Buluba i bukalanga ». C’est la civilisation. C’est le reflet de l’émancipation. C’est, en d’autres termes, la maîtrise des règles d’une vie sociale harmonieuse, de bienséance, de politesse et d’hygiène (= « bukundwe », « dyangi » en kiluba). D’où le nom de « Bakalanga » originellement attribué, selon Burton, au peuple connu aujourd’hui sous l’appellation Baluba.
La sixième marque est le « Buluba i mwenji ». Allusion à la fierté et à la noblesse du Múlúba qui récuse tout asservissement, toute humiliation, toute hypothèque de l’honneur. C’est cette noblesse que l’hymne héroïque « Múlúba witele » exprimé en ces termes : « I ami Múlúba wa kamuninwa kudya, nansha nzala munda ikungwile ». Traduction : « C’est moi l’homme Múlúba qu’on ne peut asservir par et pour le manger, même si la faim me tenaillait à percer l’estomac ! ».
La septième marque se formule comme suit : « Buluba i bwana » : le Múlúba est la liberté incarnée ». D’où, cette exaltation multiséculaire : « Wa ku bwana kealanga, beala i ke badi kwabo » : traduction : « Celui qui jouit de la qualité d’homme libre du Buluba n’éprouverait quelque intérêt à s’en prévaloir outrancièrement ; seuls las apatrides s’enorgueillissent ! » (Lukanda, 2016 : 36-37).
Ces sept qualités, ou marques distinctives du peuple Múlúba, sont le fruit d’une culture extraordinairement riche et reposent sur un ensemble d’éléments constitutifs de la civilisation kiluba. Ces éléments ne se limitent pas à des règles sociales abstraites ; ils englobent également des dimensions plus larges telles que l’organisation politique, la structure familiale, les rituels spirituels, ainsi que les pratiques artistiques et la gestion durable des ressources naturelles. Ce cadre multidimensionnel a façonné l’identité ethnique des Baluba et a permis à leur civilisation de prospérer à travers les âges, constituant le socle de leur renommée, tant au sein de l’Afrique qu’au-delà (Mutonkole, 2007 : 95-97).
L’organisation politique des Baluba est particulièrement marquée par une structure hiérarchique bien définie, centrée autour du rôle des chefs (Balopwe) et des aînés, qui assurent l’harmonie et la cohésion au sein de la société. Ces leaders, en tant que gardiens des valeurs et des traditions, veillent au respect des lois coutumières et à la gestion équitable des ressources. Le système politique kiluba, tout en respectant l’individualité de chaque membre, accorde une importance primordiale au bien-être collectif, illustrant ainsi une complémentarité entre l’autorité et le consensus communautaire.
La structure familiale, autre pilier central de la civilisation kiluba, repose sur des principes de solidarité intergénérationnelle. Les liens de parenté sont régis par des normes rigoureuses, qui renforcent le sens des responsabilités envers les membres de la famille et, plus largement, envers la communauté. Ce tissu familial étroitement imbriqué dans la société kiluba contribue à la préservation des savoirs et à la transmission des valeurs ancestrales.
Les rituels spirituels occupent également une place centrale dans la vie des Baluba, jouant un rôle essentiel dans la perpétuation de l’héritage culturel et dans la régulation de la vie quotidienne. Ces rituels, qui allient religion, cosmologie et morale, visent à renforcer les liens entre les individus, leurs ancêtres, et les forces spirituelles qui, selon leur croyance, régissent l’univers. La spiritualité kiluba est ainsi intimement liée à l’éthique de vie communautaire et à la quête d’harmonie sociale (Lukanda, 2015 : 108-110).
En outre, l’art et l’artisanat chez les Baluba, qu’il s’agisse de la sculpture, de la musique ou des ornements, ne sont pas de simples expressions esthétiques. Ils revêtent une dimension symbolique et spirituelle profonde, incarnant les valeurs de respect, de dignité et d’identité. Ces formes artistiques, souvent utilisées dans des contextes rituels ou pour commémorer des événements marquants, constituent un lien tangible entre le passé et le présent, entre les vivants et les ancêtres.
Enfin, la gestion des ressources naturelles chez les Baluba reflète une vision écologique profondément ancrée dans leur mode de vie. L’utilisation raisonnée des terres et des ressources naturelles démontre une compréhension aiguë des cycles environnementaux et une volonté de préserver ces ressources pour les générations futures. Cette gestion, fondée sur des principes de partage et de durabilité, illustre l’harmonie recherchée entre l’homme et son environnement. La question de la pêche et la chasse, Pierre Colle rapporte que les chefs interdisaient ces activités pendant au-moins trois à quatre mois pour permettre la reproduction de poisson et autres.
À la lumière de ce qui précède, en tant que civilisation ancienne, les Baluba se distinguent ainsi par ces caractéristiques notables, qui ont traversé le temps et qui méritent une attention particulière pour comprendre non seulement la continuité de leur influence, mais aussi leur capacité à diffuser ces valeurs au-delà des frontières de l’Afrique. Leur civilisation, fondée sur une éthique communautaire et un respect des traditions, continue d’inspirer par son équilibre entre individualité et cohésion collective, héritage et innovation, matérialité et spiritualité.
Miyala ya Kiluba : code sociojuridique
Les sages de notre passé ne nous ont pas octroyé le droit de publier l’intégralité des 180 règles de Miyala. Ils nous ont plutôt permis de prendre connaissance de quelques-unes de ces préceptes sociaux, nous guidant ainsi dans notre vie quotidienne. Ces règles possèdent une signification profonde permettant de réfléchir sur le comportement social au sein de la société kiluba. En explorant ces principes, nous pouvons mieux appréhender les valeurs qui régissent les interactions des Baluba et renforcer la cohésion sociale kiluba.
Miyala, règle 51 : Múlúba i wa mwenji (L’essence de l’intégrité)
La 51ème règle du Miyala, intitulée « Múlúba i wa mwenji » (l’essence de l’intégrité), occupe une place centrale dans la philosophie de vie kiluba. Elle érige l’intégrité en pilier fondamental de l’identité kiluba, influençant profondément tant le caractère de l’individu que ses interactions avec la société. Loin d’être un concept abstrait, cette règle se manifeste concrètement dans le quotidien des Baluba, guidant leur comportement. L’intégrité, selon cette règle, ne se mesure pas à la possession de biens matériels, mais à la satisfaction intérieure qu’éprouve l’individu face à ce qu’il possède. Cette satisfaction repose non sur la richesse matérielle, mais sur une paix intérieure, une forme de contentement qui transcende le désir d’accumulation.
Un proverbe emblématique de cette règle, « Balonda diwi nansha bilala ha nja » (on ne rend visite qu’à celui dont la parole est intègre, non à celui qui est riche), illustre parfaitement la philosophie kiluba. Il affirme que la véritable richesse réside dans l’intégrité, et non dans l’accumulation de biens matériels. Le respect accordé à un individu ne découle pas de ses possessions, mais de la sincérité et de la fiabilité de sa parole. Ainsi, pour un Múlúba, la quête de l’intégrité est bien plus noble que celle de la richesse. La véritable abondance réside dans le contentement intérieur, qui découle du respect des valeurs morales et de l’alignement avec ses principes.
L’intégrité, dans cette perspective, est indissociable de l’authenticité. Elle impose au Múlúba une fidélité indéfectible à ses principes, l’incitant à résister aux tentations de la convoitise et de la corruption (Mulundwe, 2001). Cette fidélité permet à l’individu de vivre en harmonie avec les autres, rejetant toute forme d’envie ou de jalousie. Plutôt que de chercher à acquérir ce qui ne lui appartient pas, le Múlúba intègre cultive une appréciation sincère de ce qu’il possède et le célèbre. Cette philosophie valorise les relations humaines et la solidarité, plaçant ces dernières bien au-dessus des richesses matérielles. Le Múlúba qui incarne l’intégrité se distingue par sa générosité et son esprit de partage, préoccupé non seulement par son propre bien-être, mais aussi par celui de ses voisins et de sa communauté. Dans la culture kiluba, la prospérité individuelle n’a de sens que si elle contribue au bien-être collectif.
L’intégrité, telle qu’elle est définie par la règle 51, joue un rôle déterminant dans la cohésion sociale. Un Múlúba intègre ne ressent aucune jalousie face à la réussite des autres membres de sa communauté, considérant que la prospérité individuelle bénéficie à l’ensemble du groupe. La réussite d’un individu devient une source de joie et de fierté collectives, plutôt qu’un motif d’envie. Cet état d’esprit renforce les liens de solidarité au sein de la société kiluba, où l’entraide constitue une valeur fondamentale.
Un Múlúba intègre reste fermement ancré dans ses convictions et ses traditions, car cette stabilité est perçue comme indispensable à la construction de relations solides et authentiques, tant au sein de la famille qu’au niveau de la communauté. L’intégrité requiert un enracinement profond dans les valeurs ancestrales, offrant au Múlúba une boussole morale claire pour naviguer dans la vie. Cette conception de l’intégrité contribue au maintien de la cohésion au sein de la société kiluba. Elle n’est pas simplement une vertu individuelle, mais un fondement des interactions sociales. En adoptant l’intégrité, le Múlúba participe à la création d’une société plus juste et harmonieuse, où chacun trouve sa place et s’épanouit dans le respect mutuel.
Les anciens insistent sur le fait que l’intégrité constitue le fil conducteur unissant les individus et façonnant l’identité kiluba. Elle influence non seulement les pensées et les actions des membres, mais aussi la manière dont ils se relient les uns aux autres. Ainsi, la règle 51 du Miyala, « Múlúba i wa mwenji », érige l’intégrité en pierre angulaire de la société kiluba. Elle façonne non seulement les individus, mais aussi leur manière de s’insérer dans la collectivité. Cette intégrité, fondée sur l’authenticité, le rejet de la convoitise et l’importance du partage, garantit l’harmonie sociale et le bien-être collectif, faisant de la société Múlúba un modèle de cohésion et de solidarité.
Miyala, Règle 52 : Kudja talala i kwabana biya (Essence d’équité)
La 52ème règle du Miyala, intitulée « Kudja talala i kwabana biya », complète harmonieusement la première règle qui pose les principes fondamentaux de la culture kiluba, notamment celui de l’intégrité. Elle impose un engagement profond envers l’équité, un concept central dans le code sociojuridique kiluba, régissant toutes les interactions sociales. Pour les miyala, l’équité dépasse largement la simple répartition des biens matériels ou la justice dans les transactions : elle est perçue comme une condition indispensable à la coexistence harmonieuse.
Dans la culture kiluba, l’équité se fonde sur un respect profond des droits de chaque individu et une attention constante à la justice dans les relations sociales. Elle symbolise un idéal où chaque personne reçoit ce qui lui est dû de manière juste et impartiale, sans favoritisme ni privilèges indus. Ce principe traverse tous les aspects de la vie sociale, incitant chaque Múlúba à promouvoir une répartition équitable des ressources, qu’elles soient matérielles ou symboliques. Le principe de cette règle est expressément exprimé par la règle « Udja ne mpuya umutala ku makiki » (lorsqu’on partage une assiette avec un singe, il faut le regarder en face), illustrant cette idée en soulignant l’importance de la transparence et du respect mutuel dans les interactions, même lorsque des intérêts personnels sont en jeu.
L’équité, dans la tradition kiluba, va bien au-delà du partage de biens matériels. Elle exige de traiter autrui avec respect et honnêteté, en évitant toute forme de tromperie ou d’injustice, visible ou cachée. Ce principe amène le Múlúba à rejeter toute forme de fraude, que ce soit dans les affaires économiques, les relations sociales ou même la vie personnelle (Mulundwe, 2019). Tromper quelqu’un ne nuit pas seulement à la victime, mais fragilise l’ensemble du tissu social, car cela mine la confiance nécessaire à une société unie. La confiance, en effet, est un corollaire indispensable de l’équité. Sans équité, la confiance ne peut exister, rendant impossible la construction de relations solides et loyales. Le Múlúba reconnaît que l’équité est la pierre angulaire qui permet d’établir et de maintenir la confiance dans toutes les transactions et relations. Une société juste et équitable est stable, car chaque individu peut se fier aux autres sans crainte de trahison ou d’exploitation. En respectant ces principes, le Múlúba assure que ses relations sociales soient basées sur la loyauté et la justice.
Dans le domaine de la répartition des richesses et des ressources, l’engagement du Múlúba envers l’équité se traduit par une approche collaborative et solidaire. L’individu ne se concentre pas uniquement sur ses propres intérêts, mais adopte une vision collective, mettant en avant le bien-être de l’ensemble de la communauté. Il s’assure que chaque membre de la société participe au processus de partage des ressources, évitant ainsi les tensions générées par les inégalités. Le dialogue, la concertation et l’écoute des différentes voix sont des mécanismes essentiels pour garantir que les décisions prises soient justes et équitables pour tous, sans discrimination ni favoritisme.
L’équité, dans la culture kiluba, n’est pas simplement un idéal théorique, mais une réalité quotidienne qui s’exprime par un sens aigu de la responsabilité sociale. Le Múlúba éprouve un devoir profond envers les membres les plus vulnérables de sa société, et il agit pour veiller à ce que ceux qui sont dans le besoin reçoivent le soutien nécessaire. L’équité dépasse ainsi la notion de justice pour s’inscrire dans une perspective de solidarité et de compassion. Elle ne se limite pas à respecter les règles de justice dans les transactions, mais s’étend au bien-être des autres, en particulier de ceux qui disposent de moins de ressources ou de pouvoir. Cette responsabilité sociale est une caractéristique essentielle du Múlúba intègre. Il comprend que son propre bien-être est intrinsèquement lié à celui de la communauté tout entière. C’est pourquoi la cinquante-deuxième règle met l’accent sur l’idée que l’équité n’est pas seulement une question de répartition matérielle, mais qu’elle englobe également la qualité des relations humaines et la manière dont les individus se soutiennent mutuellement. En apportant son aide aux plus vulnérables et en s’assurant que personne ne soit laissé pour compte, le Múlúba contribue à la construction d’une société plus juste et harmonieuse.
La règle 52 du Miyala, « Kudja talala i kwabana biya », incarne ainsi une philosophie sociale centrée sur l’équité, la transparence et la justice. Elle ne constitue pas simplement un ensemble de principes abstraits, mais représente une véritable éthique de vie régissant tant la répartition des ressources que les interactions sociales et personnelles. En respectant cette règle, le Múlúba participe activement à l’édification d’une société plus solidaire et plus juste, où chacun trouve sa place et s’épanouit dans le respect des droits de tous.
Miyala, Règle 57 : Wabubela i fwinshi (Essence de la Vérité)
La 57ème règle du Miyala, intitulée « Wabubela i fwinshi : est sorcier celui qui a le mensonge sur la langue » (Essence de la Vérité), consacre la vérité comme vertu suprême dans la culture kiluba. Cette règle place la sincérité au cœur de l’identité et des comportements kiluba, en insistant sur la nécessité de faire preuve d’honnêteté, même dans les circonstances les plus difficiles.
La vérité, pour le Múlúba, dépasse la simple conformité aux faits. Elle devient une force morale, un fondement éthique indispensable à la cohésion sociale, à la justice et à l’harmonie communautaire. L’idée que la vérité va au-delà des faits est essentielle dans cette règle. Elle est vue comme une « corde » qui lie les bonnes mœurs, signifiant que la véracité est au centre de toutes les interactions humaines. Le Múlúba, lorsqu’il adhère à ce principe, ne se contente pas d’être factuellement exact, mais s’engage moralement à être sincère et transparent, en accord avec ses valeurs et celles de sa société ethnique. La vérité devient ainsi une expression de loyauté envers soi-même et envers les autres.
La vérité est également perçue comme une marque de force, car elle demande souvent le courage de révéler des réalités inconfortables ou d’aller à contre-courant des attentes. Cet aspect est renforcé par la règle 32 du Miyala, qui énonce que « le Múlúba n’a pas l’esprit d’un léopard ». En cela, le léopard symbolise la ruse et la tromperie, tandis que le Múlúba est encouragé à être transparent, à agir de manière droite et ouverte. La vérité, dans cette perspective, est une lumière qui éclaire la voie vers la justice et l’intégrité.
Un autre aspect crucial de cette règle est son rôle dans la résolution des conflits. Dans la culture kiluba, la vérité n’est pas simplement un principe moral, mais une clé pour maintenir la cohésion sociale et résoudre les différends. En disant la vérité, même face à des conflits ou des désaccords, le Múlúba favorise des décisions justes, basées sur des faits et non sur des malentendus ou des tromperies. Ainsi, la vérité devient un mécanisme de renforcement de la confiance entre les membres de la communauté. L’honnêteté est également essentielle dans les relations économiques et sociales des Múlúba.
La société kiluba valorise une communication honnête et directe, et considère la tromperie comme un acte de lâcheté ou d’irrespect. Pour cette raison, le Múlúba évite les manipulations ou les ruses, préférant la transparence. Cette pratique consolide les relations basées sur la confiance, ce qui est crucial pour le bon fonctionnement de la communauté.
La 57ème règle insiste aussi sur l’importance de la vérité en période de crise ou de tensions. Le courage de dire la vérité, même lorsqu’elle peut créer des divisions temporaires, est considéré comme une vertu. La vérité, bien que parfois douloureuse, est vue comme un instrument de guérison à long terme. Elle permet non seulement à l’individu de rester fidèle à ses principes, mais elle renforce aussi la société en s’assurant que celle-ci se fonde sur des valeurs de transparence, de justice et de respect mutuel.
En définitive, « Wabubela i fwinshi » fait de la vérité un socle moral et social indispensable dans la culture kiluba. En respectant ce principe, le Múlúba contribue à l’édification d’une société plus juste, plus harmonieuse, où la transparence et l’intégrité sont les normes. La vérité, dans cette perspective, devient bien plus qu’un simple fait ; elle est un idéal éthique qui façonne les comportements et renforce les liens au sein de la communauté, assurant à la fois justice et harmonie dans toutes les relations humaines.
Miyala, Règle 68ème Wamona mwenyi wamona ne kadjibwa (Essence d’hospitalité)
La 68ème règle du Miyala, « Wamona mwenyi wamona ne kadjibwa » (Essence d’hospitalité), souligne l’importance cruciale de l’hospitalité dans la culture kiluba et corrige les idées fausses propagées par certains, notamment Pierre Colle, qui a affirmé que le pays des Baluba serait inhospitalier envers les étrangers (Colle, 2021 : 71). En réalité, le code sociojuridique kiluba érige l’hospitalité en une valeur fondamentale, profondément enracinée dans la société Múlúba, et en fait un principe sacré qui va bien au-delà des simples gestes de courtoisie.
Dans la tradition kiluba, l’hospitalité est considérée comme un acte sacré et un honneur pour celui qui accueille. Il s’agit non seulement de donner à l’étranger un toit ou de partager un repas, mais aussi de tisser des liens humains authentiques et profonds. Accueillir un invité est une manière pour le Múlúba de démontrer sa générosité, son respect et son ouverture envers autrui, qu’il soit familier ou totalement étranger. Chaque visiteur est vu comme une opportunité de renforcer les liens communautaires et d’apprendre des autres cultures, ce qui enrichit aussi bien l’hôte que la communauté dans son ensemble.
La 68ème règle rejoint la 84ème règle du Miyala, « Kiswa na bantu, amba kasuku kobe kiku mwangalela », qui invite à accueillir autrui avec la même attention et délicatesse que l’on réserverait à un oiseau précieux dans un foyer. Cette règle souligne l’importance de la bienveillance, du respect et de la valorisation de chaque individu.
L’hospitalité kiluba est donc beaucoup plus qu’un simple acte de générosité matérielle : elle est un engagement profond à honorer l’autre, à le protéger et à lui offrir un environnement où il se sent en sécurité et respecté. Contrairement à l’idée fausse d’inhospitalité avancée par certains, l’hospitalité chez le Múlúba inclut également la protection des invités.
Le Múlúba se considère responsable du bien-être physique, émotionnel et moral de ceux qu’il accueille. Cet engagement inclut non seulement le confort matériel, mais aussi la sécurité et le bien-être mental de l’invité, créant ainsi une expérience d’hospitalité globale.
Cette hospitalité transcende les simples règles d’étiquette ou de tradition sociale. Elle est profondément liée aux valeurs d’humanité, de solidarité et de respect mutuel qui caractérisent la société kiluba.
En accueillant un étranger, le Múlúba ne se contente pas d’obéir à une règle culturelle, mais il participe à une démarche plus large visant à créer des ponts entre les peuples et à favoriser une compréhension interculturelle sincère. En outre, l’hospitalité est perçue comme un honneur pour le Múlúba. Accueillir un étranger est une manière de montrer sa grandeur d’âme et sa capacité à créer du lien.
La 68ème règle du Miyala souligne que l’hospitalité dans la culture kiluba est non seulement un devoir sacré, mais aussi une expression profonde de la générosité et de la solidarité humaine. Loin d’être inhospitaliers, les Múlúba voient dans chaque étranger une opportunité d’enrichissement mutuel et de renforcement des liens culturels. L’hospitalité kiluba est ainsi érigée en vertu sacrée, faisant écho à l’engagement du peuple envers la dignité et le bien-être de chaque individu, étranger ou non.
Miyala, règle 74ème Bumwana (Essence du nationalisme)
La 74ème règle constitue les bases essentielles du nationalisme et de l’amour de la patrie, deux valeurs cardinales au sein de la culture kiluba. Elle clarifie les raisons pour lesquelles ce peuple a édifié sa civilisation autour d’une idéologie nationaliste, conduisant à l’émergence d’une société de guerriers intrépides.
En effet, être authentiquement reconnu comme Múlúba nécessitait la démonstration d’une valeur personnelle, principalement sur le champ de bataille. Le mérite militaire jouait ainsi un rôle central dans la définition de l’identité Múlúba :
« Ils (Baluba) sont d’un courage extraordinaire à la guerre entre tribus ; c’est là d’ailleurs qu’ils doivent acquérir le droit d’être traités en hommes (faire partie de l’ethnie). Dans ce but, ils mettent au premier rang les plus jeunes guerriers. J’ai connu des gamins de 12 ans qui marchaient au front des combattants, et se battaient avec un courage plus téméraire que prudent » (Colle, 2021 : 69).
La 74ème règle nous permet de comprendre que les conquêtes armées menées par les Baluba ne se réduisaient pas à de simples affrontements guerriers, mais servaient à renforcer la puissance de la nation tout en assouvissant une ambition expansionniste. Tout Múlúba comprenait que la défense de la patrie représentait un devoir sacré, une obligation morale les liant aux générations passées. L’expression « Yo tufwila ino i ntanda ya shile bankambo » (que l’on peut traduire par « c’est pour notre terre ancestrale, héritée de nos ancêtres, que nous versons notre sang ») incarnait cette conviction profonde.
Plus qu’un simple slogan, elle constituait un engagement solennel, un serment immuable que chaque Múlúba portait en lui, se vouant corps et âme à la protection du territoire kiluba qui est l’héritage ancestral.
Le nationalisme kiluba selon la 74ème transcendait l’attachement au simple territoire. Il s’agissait d’une idéologie profondément ancrée au cœur de l’identité ethnique, qui conférait au Múlúba une résilience presque mythique au combat.
La mentalité kiluba conquérante se distinguait par une ténacité inébranlable, les poussant à se percevoir non pas comme des léopards, symboles de prudence, mais comme des lions, symboles de bravoure et de détermination sans faille. Battre en retraite ou accepter la défaite n’était guère envisageable, quel que fût le danger. Pour les Múlúba, le lion représentait le courage absolu, prêt à lutter jusqu’au dernier souffle pour défendre son territoire.
Ce principe de bravoure guerrière était magnifiquement illustré par un précepte encapsulé dans le « miyala » de « Kafunkwa munwe » dans la 75ème règle, une règle qui traduisait la résilience face à l’adversité, l’incapacité à céder même devant des défis apparemment insurmontables. Le guerrier Múlúba devait toujours tenir sa position, sans jamais abandonner le terrain, quelle que soit la violence de l’assaut ennemi et comme le rappelle si bien Thomas Q. Reefe, tout Múlúba qui battait à retraite avant l’heure était sévèrement puni (Reefe, 1981). Cette valeur constituait l’un des piliers de l’organisation sociale kiluba, où l’honneur et la loyauté envers la patrie prenaient le dessus sur toute autre considération.
La 74ème règle ne se réduisait pas à un simple ensemble de principes abstraits, mais incarnait le cœur de la philosophie de vie des Baluba. Elle nourrissait leur esprit martial, guidait leurs actions et renforçait l’unité et la cohésion sociale.
Dans la société kiluba, chaque individu est investi d’un rôle dans la sauvegarde de la grandeur et de la prospérité de la nation, ce qui implique une dévotion totale à la cause sociétale. Le nationalisme kiluba était à la fois un moteur de l’expansion territoriale et un facteur de cohésion, garantissant la vigueur, la résilience et la prospérité de la société.
Miyala, règle 76 Mukulu lemeka nkasa, nkasa nadi a kulemeke : Essence du respect
La 76ème règle du Miyala, « Mukulu lemeka nkasa, nkasa nadi a kulemeke » (Essence du respect), souligne l’importance cruciale du respect dans la culture kiluba, le présentant comme une valeur fondamentale qui structure les interactions sociales et les relations humaines au sein de la société kiluba. Cette règle met en lumière comment le respect est non seulement un principe moral, mais également un cadre éthique essentiel pour le bon fonctionnement de la société. Pour le Múlúba, le respect commence par soi-même. Cela implique une autodiscipline et une organisation personnelle qui favorisent une vie harmonieuse.
Dans la culture kiluba et selon la règle 76ème, le désordre est souvent perçu comme un signe de mépris et d’irrespect, poussant les individus à se comporter avec rigueur dans tous les aspects de leur existence. Ainsi, le respect personnel devient la pierre angulaire de relations saines et équilibrées avec autrui.
L’interaction avec autrui, qu’il s’agisse d’hommes, de femmes ou d’étrangers, est marquée par une attention particulière. La règle 95ème qui stipule que « un Múlúba ne déplacera jamais sa langue devant un homme, une femme » illustre cette prudence dans l’expression. Cela signifie qu’il est essentiel de parler avec respect, en choisissant des mots qui ne blessent ni n’offensent.
Le respect est également présenté comme un principe réciproque au sein de la société kiluba. La règle 76ème « Mukulu lemeka nkasa, nkasa nadi a kulemeke » exprime l’idée que « le grand respecte le petit, qui à son tour le respectera ». Cette dynamique souligne que ceux en position d’autorité, qu’ils soient âgés ou en position de leadership, doivent montrer l’exemple en traitant les autres avec dignité. Ce modèle de respect mutuel renforce les liens sociaux et favorise l’harmonie au sein de la société kiluba.
Le respect s’incarne également à travers la discipline personnelle. Le Múlúba comprend que ses actions et son comportement influencent les autres, et il cherche à incarner des valeurs qui inspirent le respect en retour. Cela se manifeste dans son attitude quotidienne, ses choix de vie et la manière dont il interagit avec son entourage.
Une autre dimension importante du respect est le rejet des insultes et des comportements offensants. Le Múlúba considère les insultes non seulement comme un manque de respect envers l’autre, mais aussi comme une menace à l’harmonie sociale. La 88ème règle avance d’ailleurs, « Kaswe kibengo », qui signifie « Le Múlúba est celui qui hait l’insulte ».
La 76ème règle du Miyala met en avant l’essence du respect dans la culture kiluba. Ce respect reflète l’intégrité personnelle et est une exigence pour établir des relations harmonieuses au sein de la société. Il repose sur des valeurs de discipline, de réciprocité et de considération, formant ainsi un cadre éthique qui guide les comportements et les interactions.
Miyala, 77ème règle : Kiswa lusa : Essence de la compassion
La 77ème règle du Miyala, intitulée « Kiswa lusa » (Essence de la compassion), met en avant la compassion comme une valeur essentielle au sein de la culture kiluba. Cette règle ne se limite pas à un simple élan de bienveillance, mais établit la compassion comme une obligation morale qui guide les actions du Múlúba envers autrui, et souligne son rôle fondamental dans la construction de relations sociales solides et durables.
Pour le Múlúba, la compassion va bien au-delà d’un sentiment passager ; elle constitue une responsabilité personnelle et collective. Chaque membre de la société kiluba ressent un profond désir d’assister ceux qui traversent des épreuves, qu’il s’agisse de crises personnelles, économiques ou sociales. Cette volonté d’agir avec empathie se traduit par des gestes concrets, qu’ils soient matériels, émotionnels ou moraux. Ainsi, la compassion devient une pierre angulaire des interactions sociales, créant un environnement propice à l’entraide et à la solidarité.
Un aspect distinctif de la compassion dans la culture kiluba est son caractère inclusif. La règle « Kiswa lusa » stipule que l’aide est fournie sans distinction de race, d’ethnie ou d’origine. Chaque individu, qu’il soit Múlúba ou étranger, mérite compassion et soutien. Cette attitude renforce le tissu social en cultivant des relations basées sur la compréhension mutuelle et le respect.
Le Múlúba voit chaque acte de compassion non seulement comme un don, mais également comme un investissement dans la communauté, tissant ainsi des liens solides et durables.
Une autre dimension essentielle de cette règle est la conscience que le Múlúba a de sa propre vulnérabilité. Cette prise de conscience le pousse à adopter une attitude proactive envers la solidarité. En s’engageant à pratiquer la compassion, il contribue à créer un cercle vertueux où l’entraide devient une norme. Cette anticipation de l’interdépendance incite le Múlúba à être non seulement un donneur, mais aussi un récepteur potentiel de soutien, renforçant ainsi la nécessité de relations de confiance et de bienveillance au sein de la communauté.
La compassion, selon la règle Kiswa lusa, se manifeste également par la présence constante et le soutien fidèle du Múlúba envers ceux qui font face à des difficultés. Être là pour autrui dans les moments d’adversité est une manière de démontrer un engagement inconditionnel. Ce dévouement à soulager la souffrance des autres crée un environnement où chacun se sent soutenu et compris, ce qui est essentiel pour le bien-être collectif.
La 77ème règle du Miyala met en lumière l’essence de la compassion dans la culture kiluba. Cette valeur fondamentale se traduit par des actions concrètes de soutien, une attitude inclusive et une prise de conscience de l’interdépendance humaine. Le Múlúba incarne la compassion non seulement comme une qualité personnelle, mais aussi comme un engagement envers la communauté.
Miyala, règle 78ème, Katende hako i dikubi (Essence de l’indépendance)
La 78ème règle du Miyala, Katende hako i dikubi, consacre l’indépendance comme une valeur fondamentale au sein de la culture kiluba. Cette règle met en avant l’importance cruciale accordée à la liberté individuelle et collective, tout en soulignant la détermination des Baluba à préserver cette indépendance face à toute forme de domination ou de soumission.
Dans cette règle, l’indépendance ne se limite pas à une simple liberté d’action ou de pensée. Elle s’étend à la capacité de se gouverner soi-même, tant à un niveau individuel qu’à un niveau collectif. Pour le Múlúba, l’autonomie est une source de fierté et il cherche activement à ne dépendre de personne, que ce soit pour ses besoins matériels ou spirituels. Cette quête de liberté personnelle est indissociable d’un sens aigu de la responsabilité.
Le Múlúba rejette fermement toute forme de domination ou de soumission, qu’elle vienne de l’extérieur ou de l’intérieur de la société. Cette règle met en lumière une volonté inébranlable de protéger son autonomie face à toute influence extérieure. L’histoire des Baluba témoigne de cette résistance face à la domination (Heenen, 1920 : 2-5).
L’identité kiluba s’est forgée à travers cette lutte pour la liberté. Ce refus catégorique de la soumission a parfois conféré au peuple Múlúba une réputation guerrière, car ils sont prêts à défendre leur indépendance avec force et autorité comme nous l’avons déjà dit ci-haut. Ceci explique pourquoi l’autorité que les Balopwe (souverains) exercent n’est pas arbitraire. Elle repose sur une structure hiérarchique bien définie et un respect mutuel au sein de la société.
La règle Katende hako i dikubi souligne que pour préserver l’indépendance, il est indispensable de maintenir un cadre ordonné. Chaque individu doit comprendre ses responsabilités et agir de manière à contribuer à l’équilibre général. Le respect de cette hiérarchie assure que la liberté ne se transforme pas en désordre, mais plutôt qu’elle s’épanouit dans un environnement de discipline sociétale.
Un autre aspect important de cette règle est la reconnaissance que la liberté individuelle est indissociable de la liberté ethnique. Pour le Múlúba, son indépendance personnelle n’a de sens que si elle s’inscrit dans une dynamique sociale où la liberté de chacun est protégée et respectée. Cela implique que la solidarité et l’entraide, des valeurs fondamentales dans d’autres règles du Miyala, sont étroitement liées à cette quête de liberté.
L’indépendance individuelle ne se réalise pas en opposition à la société, mais en coopération avec elle, chaque membre jouant un rôle actif dans la défense de l’autonomie.
La 78ème règle du Miyala, Katende hako i dikubi, met en avant l’essence de l’indépendance dans la culture kiluba. Cette indépendance, farouchement protégée, valorise l’autonomie, la discipline et l’ordre. Pour le Múlúba, l’indépendance n’est pas seulement une aspiration, mais une réalité à défendre quotidiennement, avec une autorité justifiée et une grande responsabilité. Cette règle incarne l’esprit indomptable du Múlúba, qui chérisse sa liberté comme une valeur sacrée et inaliénable.
En mettant en avant l’importance de l’indépendance personnelle et collective, elle montre que la véritable liberté est celle qui est préservée dans le cadre d’une société harmonieuse et disciplinée, où chacun est à la fois libre et redevable envers les autres.
Miyala, règle 89ème Mwana wa Mulao (Fils de la Promesse Divine)
La 89ème règle, qui affirme que le Múlúba est l’héritier de la Promesse Divine, occupe une place essentielle dans la culture et la spiritualité des Baluba. Elle met en lumière non seulement la relation particulière entre le peuple Múlúba et Dieu, mais aussi les obligations sacrées qui en découlent. Enracinée dans les traditions religieuses kiluba, cette règle symbolise leur statut de peuple de la promesse divine, investi d’une mission spirituelle singulière. La formulation complète de cette règle est ainsi citée :
« Mwana wa mulao, mulao wa sh’akapanga. Mwine mbala wakadye kidyedye, mwanda wa bujila, ne butobo bobamupele’ mba ukamwitanga Nkungw’a-Banze, nandi ukakwitabanga : le fils de la promesse, de la promesse du Créateur ; un astreint à la loi du feu sacré qui ne mange ni n’importe quoi, ni importe où, ni n’importe quand, ni n’importe comment, ni avec n’importe qui, à cause du sacerdoce et de la sacralité auxquels il a été appelé pour qu’en les observant, il puisse invoquer Dieu et que celui-ci lui réponde ! » (Lukanda, 2018 : 20).
Cette citation résume clairement l’idée que le Múlúba, en tant qu’héritier de la Promesse Divine, doit respecter des règles strictes qui encadrent son alimentation, mais aussi l’ensemble de sa conduite morale et spirituelle. Historiquement, dans la cosmologie kiluba, les Baluba se considèrent comme les descendants directs du premier homme, Ilunga Nshi Mikulu, vu comme le père de toutes les nations. Cette origine leur confère un rôle particulier dans l’histoire de l’humanité, fondant leur identité en tant qu’héritiers directs de la Promesse Divine.
Selon les croyances kiluba, cette distinction divine fait d’eux un peuple consacré, et cette consécration implique une pureté morale et spirituelle reflétée dans tous les aspects de la vie du Múlúba. Le respect des règles alimentaires devient ainsi un moyen de préserver cette pureté intérieure. Ces restrictions alimentaires vont bien au-delà du simple choix des aliments ; elles représentent un code de conduite global.
Certaines interdictions alimentaires sont imposées, non seulement pour des raisons de santé, mais aussi pour maintenir une pureté spirituelle. De même, des pratiques comme la prostitution ou la sorcellerie sont strictement interdites, car elles sont perçues comme des formes de corruption spirituelle.
Ainsi, la 89ème règle ne se limite pas à l’alimentation, mais appelle chaque Múlúba à mener une vie sacrée, à éviter tout ce qui pourrait altérer sa pureté spirituelle et à adopter un comportement exemplaire. En respectant ces principes, le Múlúba peut maintenir une relation harmonieuse avec Dieu et espérer que ses prières soient exaucées, la pureté morale étant perçue comme la clé pour invoquer Dieu.
La 89ème règle rappelle aux Baluba qu’ils sont porteurs d’une mission divine et leur impose un devoir de sacralité, basé sur la pureté morale et spirituelle. C’est à travers cette règle qu’ils se distinguent des autres peuples et qu’ils sont appelés à vivre conformément aux attentes du Créateur.
Miyala, la règle 93ème Muci wa miji hanci keuhona’ho (Essence de constance)
La règle 93ème du Miyala, Muci wa miji hanci keuhona’ho est l’un des fondements les plus significatifs de la société kiluba. Elle souligne l’importance cruciale de la constance dans le comportement social et personnel. En vertu de ce principe, le Múlúba est tenu d’afficher une loyauté indéfectible envers ses choix, convictions et engagements. Une fois qu’un Múlúba prend une décision, qu’elle concerne l’amour, le soutien ou toute autre prise de position, il s’y attache fermement, rejetant toute forme d’inconstance, qu’elle provienne de lui-même ou de son entourage. Cette exigence de constance ne se limite pas à un simple code de conduite moral. Elle représente un pilier essentiel de la cohésion et de la résilience de la société kiluba.
La règle 93ème du Miyala incarne bien plus qu’une simple instruction. Elle reflète la profondeur de la sagesse accumulée par le peuple Múlúba au fil des siècles, le permettant de traverser les épreuves et de bâtir une société forte. Cette vertu de constance, ancrée dans son identité, continue d’inspirer les générations actuelles et futures, en l’offrant un modèle de détermination et de fidélité à ses valeurs fondamentales. Ainsi, la civilisation kiluba, avec ses racines anciennes et ses principes solides, se démarque comme un exemple exceptionnel de résilience et de succès historique.
Nous n’entendons pas exposer en détail l’ensemble des 180 principes de Miyala. Notre dessein consiste plutôt à illustrer l’essence des éléments civilisationnels qui caractérisent la société kiluba. Ces éléments ont constitué les fondements sur lesquels s’est édifiée une histoire riche et complexe, s’étendant sur plus de deux millénaires.
La civilisation kiluba se singularise par son unicité, en se distinguant par des valeurs, des traditions et des croyances qui façonnent l’identité collective de son peuple. À travers les âges, les Baluba ont fait preuve d’une résilience remarquable face aux défis, ainsi que d’une capacité d’adaptation aux évolutions, tout en préservant leur héritage culturel. Leur sagesse ancestrale et leur vision du monde se manifestent dans les pratiques quotidiennes et les rituels qui rythment la vie sociétale.
Aucun peuple, aucune nation au monde ne saurait véritablement se comparer à la civilisation du peuple Múlúba. Leur approche holistique de la vie, intégrant les dimensions spirituelle, sociale et environnementale, constitue un modèle de coexistence harmonieuse et de respect mutuel. C’est cette intégration de principes fondamentaux qui a permis à la société kiluba de prospérer, de se réinventer et d’évoluer au fil des siècles. En définitive, la civilisation kiluba ne se résume pas à une simple histoire du passé, mais s’impose comme une source d’inspiration et de réflexion pour les générations futures.
Circoncision
Lukanda dit que la circoncision est la qualité d’être Múlúba. Il écrit à ce propos :
« La seconde marque est ainsi exprimée : « Buluba i disao », la qualité d’être Múlúba est dans le passage par le camp d’initiation des jeunes gens à la vie d’adulte, cérémonie ouverte au début par le rite de circoncision (…). Le mukanda ou disao est la période pendant laquelle les enfants étaient initiés au Buluba, à l’être Múlúba, suivant un programme de formation bien observé (…). Les jeunes filles transitaient par le butanda ou le bumwadi (à ne pas confondre avec l’excision des filles qui n’est pas pratiqué chez les Baluba), rite d’initiation et d’intégration nationale des jeunes filles à la vie d’adulte, celle d’épouse et de mère. Ces rites, façonnaient, façonnent et façonneront l’âme Múlúba » (Lukanda, 2018 : 333 & 414).
Comme on peut le voir, la circoncision est d’une importance pour les Baluba. Colle rapporte les écrits du Vandermeiren :
« La circoncision comme elle se pratique ici ne paraît pas être un rite religieux. C’est plutôt une coutume, mais tellement ancrée qu’un non circoncis ou Musula trouverait difficilement à se marier. Ce nom de Musula l’accompagnera partout comme titre de mépris. Les filles et mêmes les garçons l’insulteront de ce sobriquet. Pour trouver une femme et être respecté, il faut être « kilombwé » ou circoncis» (Colle, 2021 : 271).
Il est fondamental de souligner que la circoncision au sein des Baluba comporte deux dimensions distinctes, chacune revêtant une importance considérable dans leur culture et leur société. D’une part, on peut identifier une dimension spirituelle, dont la compréhension approfondie nous échappe souvent, mais qui est profondément ancrée dans les croyances et les pratiques rituelles des Baluba. Cette dimension spirituelle implique des rites et des cérémonies symbolisant la purification et l’initiation, marquant ainsi le passage vers une nouvelle étape de l’existence. Pour les Baluba, la circoncision constitue un moyen d’établir un lien sacré avec leurs ancêtres et leurs divinités, renforçant ainsi leur identité culturelle et spirituelle.
D’autre part, la circoncision revêt également un aspect social particulièrement marqué. Au sein de la société kiluba, les garçons circoncis sont perçus comme étant vitaux, moralement équilibrés et dignes de respect. Cette perception est si profondément enracinée dans les valeurs culturelles qu’elle influence de manière significative les relations interpersonnelles et les dynamiques familiales.
En revanche, l’absence de circoncision engendre des difficultés majeures, notamment en matière de mariage. Une femme Múlúba refusait catégoriquement d’unir sa destinée à celle d’un homme qui n’a pas été circoncis. De surcroît, la famille de cette femme ne tolérait jamais une telle situation, la considérant comme une honte inacceptable.
Un garçon non circoncis, est désigné sous le terme de Musula, et il fait ainsi l’objet d’une stigmatisation et d’un rejet, ce qui met en exergue l’importance de cette pratique dans le maintien de la structure sociale.
La circoncision confère aux garçons une identité kiluba. En effet, ils ne sont considérés comme de véritables Múlúba, dotés de tous les droits et devoirs inhérents à leur société, qu’après avoir subi ce rite. Ce passage n’est pas simplement une transition vers l’âge adulte ; il représente une obligation sociale et culturelle, permettant aux jeunes hommes de s’intégrer pleinement dans leur communauté. Ainsi, la circoncision dépasse le cadre d’un simple acte physique : elle constitue une pierre angulaire de l’identité et de la continuité culturelle du peuple Baluba.
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