LES BAHEMBA ET LE BULUBA
La question de Bahèmba et les Baluba soulève des questions essentielles sur l’identité et la définition des Baluba, ainsi que sur les critères qui permettent ou non de les identifier comme tels, selon une perspective historique, culturelle et anthropologique. Pour développer davantage ces idées, analysons plus en profondeur les thématiques soulevées.
J. Maes et O. Boone mentionnent que les « vrais Baluba » auraient cessé de désigner certains groupes comme Bambo ou Balubilash sous le nom de Baluba. Cette affirmation suppose une rupture dans la reconnaissance identitaire, mais ne précise ni le moment exact de cette rupture, ni ses causes profondes. Il serait pertinent de s’interroger sur les éléments déclencheurs de cette différenciation. Était-ce le résultat de migrations ou de scissions au sein du groupe initial ? Était-ce une conséquence d’un conflit ou d’une rivalité interne ? Ou bien ce changement était-il graduel, lié à des évolutions linguistiques, culturelles ou sociales ?
Sans réponse précise de ces auteurs, la question reste ouverte et nécessite une exploration historique approfondie, qui devrait inclure une analyse des récits oraux, des archives coloniales et des études ethnographiques. La datation de cette rupture permettrait d’établir un cadre contextuel et d’identifier les dynamiques ayant entraîné ce reclassement identitaire. L’interrogation principale est celle-ci : qu’est-ce qui définit le Buluba ? Quels sont les critères essentiels qui différencient un Múlúba (au sens traditionnel) de ceux qui ne le sont pas ou ne le sont plus ? Plusieurs pistes sont évoquées :
La langue est souvent un pilier fondamental de l’identité ethnique et culturelle. Si certains groupes autrefois considérés comme Baluba ont progressivement abandonné ou modifié leur pratique du kiluba, cela pourrait être une cause de leur exclusion. La mutation de la langue est souvent un indicateur de transformations profondes dans une société : le contact prolongé avec d’autres peuples, l’adoption d’autres langues dominantes ou une perte d’usage liée à des facteurs socioéconomiques peuvent entraîner une dilution de l’identité linguistique. Cependant, il faut se demander : le kiluba est-il une condition suffisante pour être Múlúba, ou n’est-il qu’un des nombreux marqueurs identitaires ?
Les pratiques culturelles, les rituels, les traditions et les normes sociales sont également des critères potentiels pour définir le Buluba. Si les Bambo ou les Balubilash ont adopté des coutumes ou des pratiques radicalement différentes de celles des Baluba traditionnels, cela pourrait expliquer pourquoi ils ne sont plus reconnus comme tels.
Exemple : des différences dans les cérémonies d’initiation, les rituels funéraires ou encore les pratiques matrimoniales pourraient symboliser une déconnexion avec le noyau central des traditions baluba. Mais dans ce cas, la question se pose : ces pratiques ont-elles disparu à cause de l’acculturation, ou étaient-elles déjà distinctes dès l’origine ?
L’idée de différences morphologiques, bien que mentionnée, soulève des questions sensibles et potentiellement problématiques. Si des distinctions physiques ont été perçues entre les « vrais Baluba » et les groupes comme les Balubilash, il faut examiner comment ces différences ont été interprétées et utilisées pour exclure certains individus ou groupes. Ces perceptions peuvent être influencées par des préjugés internes ou externes, notamment ceux introduits par les colonisateurs ou les chercheurs.
Toutefois, les critères physiques ne suffisent pas à expliquer une identité culturelle complexe, surtout dans un contexte africain où les populations ont souvent évolué dans des environnements pluriculturels et multiethniques.
La civilisation matérielle (les outils, l’artisanat, l’architecture, etc.) peut aussi jouer un rôle dans la définition de l’identité. Si certains groupes ont adopté des techniques ou des pratiques radicalement différentes en raison de leur environnement ou de leur intégration à d’autres cultures, cela aurait pu contribuer à une perception d’altérité. Mais cela pose une autre question : les différences matérielles suffisent-elles à remettre en cause une appartenance culturelle ou ethnique ? L’idée que certains groupes auraient perdu leur « pureté » en se métissant avec d’autres peuples soulève une problématique centrale sur la perception de l’identité ethnique. L’identité baluba repose-t-elle sur une notion d’homogénéité ancestrale ? Si oui, cette homogénéité a-t-elle jamais réellement existé ? Les sociétés africaines, comme ailleurs, ont souvent été dynamiques, marquées par des migrations et des échanges constants. Ainsi, l’idée de pureté pourrait relever davantage d’une construction idéologique que d’une réalité historique.
L’approche généralisante des ethnologues, linguistes et anthropologues auraient tendance à englober de manière trop large des groupes distincts sous l’étiquette « Baluba ». Cette critique est justifiée si l’on considère que les chercheurs coloniaux ou postcoloniaux avaient souvent des méthodologies simplistes, visant à classer les populations en catégories fixes et hiérarchiques. Une telle approche pourrait avoir contribué à flouter la définition traditionnelle des Baluba, en y intégrant des groupes qui, aux yeux des « vrais Baluba », n’en faisaient pas partie. Il serait donc nécessaire de reconstruire l’histoire baluba selon une perspective endogène, c’est-à-dire à partir des récits et des cadres conceptuels propres aux Baluba eux-mêmes. Cela impliquerait de valoriser les traditions orales, tout en les croisant avec les sources écrites et les découvertes archéologiques, afin de mieux cerner les contours du Buluba.
Au-delà des questions posées, il semble que le Buluba ne soit pas un concept figé, mais une identité dynamique, évolutive, et sujette à des transformations historiques. Il ne s’agit pas seulement d’un héritage culturel ou linguistique, mais aussi d’une construction sociale façonnée par les interactions avec d’autres peuples, les influences extérieures, et les changements internes. Le Buluba pourrait être défini comme une combinaison de plusieurs éléments :
- Un attachement à des traditions spécifiques (langue, rites, normes sociales).
- Une mémoire collective commune, souvent transmise par les récits oraux.
- Une reconnaissance mutuelle au sein des groupes qui se considèrent Baluba.
En fin de compte, déterminer ce qu’est ou n’est pas le Buluba ne peut se limiter à un seul critère. C’est un processus complexe, nécessitant une approche multidisciplinaire et une écoute attentive des voix baluba elles-mêmes.
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