Múlúba witele: Múlúba presente-toi[1]
D’une Afrique qui rêve d’être ce qu’elle a toujours été, je tire une leçon qui vaille : nulle autre part que dans les sillons de notre passé propre et commun n’est trouvable ce qui nous fonde comme Múlúba et bantu.
« Múlúba witele » est la formule traditionnelle par laquelle tout Múlúba se présente à l’autre depuis la nuit des temps. Cela par le biais d’un hymne héroïque qui transcende clans et lignages. Cet hymne cimente l’homogénéité démographique et consolide l’unité géographique des Baluba. C’est par lui et en lui que le Múlúba se reconnait et reconnait les siens. Ecoutons-le se présenter à nous à travers cet hymne :
MÚLÚBA WITELE | MÚLÚBA, PRÉSENTE-TOI |
I ami Mulub’a kasala | C’est moi l’homme Múlúba Toujours coiffé d’une huppe |
Nansha ka mukuku | Truffée des plumes même ordinaires Comme celles du coucou (oiseau) |
Munkan’a Nshi Mikulu | Le petit-fils de Nshi Mikulu |
Ilunga muci mubedi | Le nommé Ilunga Le premier arbre |
Wakunine Sh’a Kapanga | Que Dieu avait planté |
Bonso ke misambo | Tous (les autres peuples) Sont des embranchements |
Múlúba waluba mashinda | Múlúba l’égaré Qui perd les chemins |
Waluba’nka | Il perdit même |
Ne diya kwabo | Celui qui mène chez eux |
Múlúba lubanga mu kanwa | L’homme Múlúba qui se trompe en paroles (de la bouche) |
Kakaluba kashinda | Jamais il ne perd le sentier |
Nansha ke kabunde | Même touffu et oblitéré |
Ulaula | Il le dépisterait |
Kayi kwabo | Et irait chez-eux |
Múlúba elwanga lukoyo | Le Múlúba à qui on tend un piège |
Umwele lukindi | Dès qu’on lui lance un proverbe |
Waumvwe | Il sait en saisir le sens |
Múlúba wa nkindi | Múlúba aux proverbes |
Yelwa mu maoma | Qui se véhiculent A travers les tam-tams |
Mu kanwa | Proférés par la bouche |
Baakayuka | Ils (les non-initiés au Buluba) en saisiraient le sens. |
Comme cela transparaît à travers ce chant fondateur, le Múlúba participe d’une civilisation de la noblesse qui lui est propre : le « Buluba ».
Le Buluba
Chez les locuteurs du Kiluba, ce vocable a deux sens :
LE PAYS DES BALUBA
Le premier est celui auquel nous réfère Colle en tant que (a) « contrée » et (b) « langue » du « Buluba[1] ».
Au sens traditionnel, cet espace englobe aussi bien les Baluba de Lubangule, de Kabamba Ngombe, de la Collectivité « Shankadi» au Kasaï Oriental que les Baluba du Haut-Lomami, le Lwalaba, le Haut-Katanga, le Tanganika, Kolwezi… Quant aux Basonge, Bena Kanyoka, Babemba, Bazula, Balomotwa, Bena Luluwa, Bakwa Kalonji…, eux ne font pas partie de cette aire géographique. D’autant que certains d’entre eux nomment selon les cas, comme pour se différencier du Buluba, leur aire géographique et culturelle : le Busonge, le Busanga, le Bubemba, …
Qu’on désigne leur civilisation sous les termes Buluba, Uluba, Uruba, Uruwa[2], c’est la même chose et c’est exactement le même mot, qui ne peuvent être percues ici que sous la figure de ce que les linguistes appellent variances libres articulées autour des consonnes l et r, b et w.
QUALITÉ D’ÊTRE MULUBA
Buluba signifie, dans un deuxième sens, la qualité d’être Múlúba. Cette posture essentielle comporte sept caractéristiques ou sept marques :
La première marque se formule ainsi : « Buluba i kiluba ». Formule qui signifie à la fois qualité, marque, caractère, essence Múlúba et langue kiluba, ce dernier étant le véhicule de la civilisation des Baluba en tant que peuple.
La seconde marque est ainsi exprimée : « Buluba i disao[3] ». Cette distinction est conférée au sortir de l’initiation des jeunes gens. Le versant féminin de ce rite est le butanda ou le bumwadi.
La troisième marque est ainsi traduite : « Buluba i Bulopwe ». Procédant du pouvoir impérial, cette distinction est ce par quoi le peuple Múlúba incarné par le Mulopwe (roi de source temporelle et divine à la fois) s’unifie politiquement.
La quatrième marque est ainsi exprimée : « Buluba i mbala : i kujila kudya kidyedye. Marque fondée sur l’observance stricte de la loi du feu sacré[4], qui interdit de manger n’importe où, n’importe quand, n’importe quoi, avec n’importe qui. C’est à ce titre que tout Múlúba mâle est appelé de Mwine Mbala, c’està-dire maître ou initiateur du Mbala, en tant qu’il participe au Bulopwe (pouvoir temporel) de sa « nation ».
La cinquième marque est incarnée dans le « Buluba i bukalanga ». C’est la civilisation. C’est le reflet de l’émancipation. C’est, en d’autres termes, la maîtrise des règles d’une vie sociale harmonieuse, de bienséance, de politesse et d’hygiène (= « bukundwe », « dyangi » en kiluba). D’où le nom « Bakalanga » originellement attribué, selon Burton, au peuple connu aujourd’hui sous l’appellation Baluba.
La sixième marque est le « Buluba i mwenji ». Allusion à la fierté et à la noblesse du Múlúba qui récuse tout asservissement, toute humiliation, toute hypothèque de l’honneur. C’est cette noblesse que l’hymne héroïque « Múlúba witele » exprime en ces termes : « I ami Múlúba wa kamuninwa kudya, nansha nzala ikungwile » Traduction : « C’est moi l’homme Múlúba qu’on ne peut asservir par/et pour le manger, même si la faim me tenaillait à percer l’estomac ! »
La septième marque se formule comme suit : « Buluba i bwana » (le Múlúba est la liberté incarnée ». D’où, cette exaltation multiséculaire : « Wa ku bwana kealanga, beala i ke badi kwabo ». Traduction : « Celui qui jouit de la qualité d’homme libre du Búlúba n’éprouverait quelque intérêt à s’en prévaloir outrancièrement ; seuls les apatrides s’enorgueillissent ! »
Après avoir défini le Kiluba et le Buluba, il est indiqué maintenant de donner sens à un autre concept équivoque, celui de « Múlúba »
QU’EST-CE UN MULUBA ?
En kiluba, « Múlúba » dérive du verbe kuluba dans sa triple sémantique : Kuluba i kujimina = se perdre, s’égarer… Kuluba i kwilwa = oublier, perdre de vue un problème, ne plus se souvenir de quelque chose. Kuluba i kujilula, kutupa mbila = commettre une faute, enfreindre une règle, aller à l’encontre d’une loi, d’un décret[5].
De ces trois acceptions, la troisième est celle qui rend mieux la désignation du Múlúba–peuple.
Múlúba est donc fils de la promesse divine : « Mwana wa mulao » (= « l’enfant soumis aux interdits »).
« LWAMI LUDIMI NE BWAMI BUMUNTU » : L’AFFIRMATION ONTOLOGIQUE PAR LA LANGUE
C’est par le kiluba, dans sa polyphonie sémantique, que l’être Múlúba affirme son essence temporelle. Cet aspect appelle de notre part un certain éclaircissement.
LE KILUBA (INSTANCE ESSENTIELLE) COMME MARQUE DU BULUBA
Comme marque déterminative, son premier sens cumule la qualité, le caractère, l’essence, la nature même du Buluba. Bref, tout ce qui est propre aux Baluba se dit brièvement kiluba.
LE KILUBA COMME PERSONNE MULUBA
Dans les hymnes héroïques régionaux exprimés dans l’ancienne langue, le mot Kiluba est utilisé à la place de Múlúba, pour désigner même une personne.
Voici un exemple : « I abe kyalaba-kiluba : ufika kwabo kwa Ngoyi Mani, waboya sokolo, ufika kwabo ku Ncimbu, waboya musupi » C’est-à-dire : « C’est toi qui, à la fois, es Múlúba riverain (Kyaalaba) et Múlúba terrien (Kiluba). Quand tu arrives chez-toi, à Ngoy Mani, tu uses du sokolo (houe) pour déterrer les tubercules. Quand tu t’en retournes à ta patrie, le Ncimbu, tu retrouves la pagaie[6] ».
LE KILUBA COMME LANGUE DES BALUBA
Le même terme signifie la « langue des Baluba », du moins celle qui est parlée dans le Territoire limité au Sud-Ouest par la rivière Lubilanji, depuis sa frontière au Katanga avec les Bachokwe et les Balunda jusqu’au Nord-Ouest au Kasaï ; à l’Est, du lac Moéro au lac Tanganika ; au Nord, depuis la région de Kongolo jusque Kalemie-Kisengwa ; au Sud jusqu’à Kanzenze-Kolwezi, hormis les poches résiduelles des Batabwa installés sur les marges du Lac Tanganika.
[1] P. Colle, Baluba 1, Bruxelles, 1913, p.1.
[2] Il sied de rappeler ici qu’en Kiluba, l et repermutent fréquemment. De même, b et w interfèrent parfois dans le parler sans en modifier le sens.
[3] Lukanda Lwa Malale, Disao, Initiation africaine des jeunes gens à la vie chez les Baluba, éd. Kivunge, Kinshasa-Lubumbashi, inédit.
[4] Lukanda Lwa Malale, Mbala, feu sacré du pouvoir chez les Baluba, éd. Kivunge, Kinshasa-Lubumbashi, 2006, inédit.
[5] « Múlúba lubanga mu kanwa » : « Toi qui as mangé et qui as nié d’avoir mangé ». Repentance de « l’égaré » devant l’Etre Suprême : « Kuluba kwine ndubile » : « Fautif ? Oui je le suis, Vidyé ». Une telle supplique se situe dans le cadre des paroles sacrées contenues dans les invocations (mitompo) que les ancêtres adressaient aux temps premiers à Dieu en quête du pardon divin : « Vidye Kalombo, kuluba kwine ndubile, ne kujilula nako njilwile. Mbutwile kya nsungu i ka ? Ndubulule a Mfumw’ami. Mbutwile kekala nsungu. Mbutwile sanswa mwan’andi. Nansha kilubi i kyan’aye », Dieu Maître-Initiateur. Une faute ? Oui, je l’ai déjà commise ; et la loi ? Oui, je l’ai déjà transgressée. Parent, pourquoi as-tu une telle colère ? Réhabilite-moi (efface mes fautes), ô mon Seigneur. Car un parent n’est jamais source de colère. Un parent aime (toujours) son fils ; quelque étourdi qu’il soit (fautif), il demeure son enfant…
[6] Lukanda Lwa Malale, Mitontwe ya madilo a (Oraison funèbre pour Mulopwe Ilunga Mwila Kikangala), éd. Kivunge, Lubumbashi-Kinshasa, 2006, pp.6-13
[1] Lukanda Lwa Malale, Nnumbi ne Mitontwe (Poèmes Kiluba) éditions Kivunge, Lubumbashi, 1995, pp 7-8.
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