Un autre peuple qui a porté la culture des Baluba jusqu’à l’Océan Atlantique est le peuple Mupende. On en sait un peu plus sur ce peuple grâce aux recherches de Mudiji Malamba qui, dans ses travaux consacrés aux langages des masques africains, livre deux versions sur l’origine des Bapende :
Le premier reste tenace et a été recueillie par le Dr Harveaux et par le R.P. Bittremieux, chez les Phende orientaux. Ils disent :
« Tajile gu Tandji nu Milumbu », nous sommes venus de Tandji et de Milumbu, c’est-à-dire selon les commentaires des rapporteurs de Harveaux, des principaux peuples conquérants. Betremieux, sans citer ses sources, affirme que « Tandjili dia Milumbu » désigne la Lukuga, le lac Tanganika ou d’autres eaux salées. L’itinéraire suivi par les Phende, selon lui, descendait du Nord, passait par les sources des grands fleuves, c’est-à-dire le Katanga, Tandji et Milumbu, Gipiti[1] (Egypte ?), les sources du Zambèze, le Nord du Fleuve Kwanza en Angola, tel serait le trajet parcouru par les Phende selon Gusimana[2] ».
La zone où se draine la Lukuga, entre le lac Tanganyika et le Fleuve Lualaba, se trouve dans le Buluba Hemba (Uruwa) :
« Il existe effectivement des Bampende aujourd’hui encore au Katanga. La région de la lukuga, du lac Tanganika ou des eaux salées est habitée par des Baluba-Bakunda qui s’appellent aujourd’hui encore bampende et ceux-ci vivent juste à côté des Balumbu, dans le Buluba ou Uruwa[3] ».
Pour sa part, Crine-Mavar l’atteste ainsi :
« Quand l’accent est mis sur la personnalité des groupes locaux, on parlera par exemple de Bena Kahela (pour désigner la seigneurie Lengwe), de Baseba (pour désigner les seigneuries Kabeya, Kalima, Kilega, Kitengetenge, Pende, Munema), de Babinga (pour désigner la seigneurie Maloba), de Baleo (pour désigner la seigneurie Kabamba) etc. Par ailleurs, quand l’accent est mis sur la collectivité de ces mêmes groupes locaux, on parlera indistinctement de Bakunda Bena Kamania[4] ».
Comme nous venons de le montrer dans les précédents développements, ces groupes anthropologiques Baluba venus du Nord-est du Katanga essaimèrent dans le Sud Katanga jusqu’aux sources de Zambèze. De là, ils progresseront vers l’Angola jusqu’à l’Océan Atlantique. Voici clairement ce que déclare Mujimbu Sha Kalau à ce propos :
« Le groupe humain venu de Zambèze fut un mélange des peuples. Une femme appelée Kona eut une union biandrique polyandrique d’une part avec Konde Dia Ilunga (Luba) et d’autre part avec Nawezi, roi lunda. De ce mariage sortirent deux enfants, un garçon appelé Nguadi Katete ou Mukhinda Mbangoi et une fille appelée Ngombe. D’après la tradition orale, Mukhinda Mbango ou Ngwadi Katete fut le Fondateur de la communauté qui deviendra plus tard Akwa-Ndongo[5] (Bapende) ».
Remarquons qu’à la genèse du peuple Mupende intervient un personnage Muluba, Konde dia Ilunga. La femme Kona qui lie une union irrégulière, d’après la coutume kiluba, est appelée Kona. Littéralement : la gaffeuse, la gâcheuse, celle qui a gâté, a mal agi. La coutume prescrit la monogamie, tolère la polygamie, mais s’oppose énergiquement à la polyandrie. Les anciens disent :
« Nsambakeno ku mukaji umo idi lufu », Trad. « Autant d’hommes qui fréquentent à la fois une seule femme apportent la mort ! »
Ceci se passe de commentaire. Aussi qualifie-t-on ainsi une femme qui est à la base des rivalités entre les hommes :
« Kyaumanya bapwene, nansha badi mu nda mwa in’abo, beshola nsonde kebelekanga » Trad. « Source des discordes, une telle femme contribue à diviser frères et alliés jusqu’à susciter des actes de mort ».
Cette femme Kona était assurément une Múlúba. Le qualificatif lui serait accordé comme surnom résultant de la faute qu’elle avait commise. Son nom de naissance est sans doute aujourd’hui perdu[6].
C’est donc en toute légitimité que nombre des populations du Zambèze continuent à revendiquer leur origine Múlúba. Venant du Nord-est du Katanga vers le Sud, puis vers l’Ouest, ce peuple distinct et/ou frère des Balunda dut autrefois forcer le passage afin d’entrer dans le pays qui se nomme aujourd’hui l’Angola :
“Toutes les traditions s’accordent donc pour affirmer que les Phende sont partis du Sud-Est, aux sources du Zambèze, pour s’établir sur la côte de Luanda. La tradition qui mentionne Tandji et Milumbu dit qu’ils ont eu à vaincre sur leur passage des peuplades lunda qui s’opposaient à eux.
Celle parlant de Kola voit dans les Lunda des frères bien avant l’arrivée à Kola. Ces événements se situeraient bien avant la fin du XVe siècle puisque les Portugais en découvrant l’Angola après 1484, y trouvèrent les ancêtres des Phende établis depuis un temps passablement long[7]” Porteurs de la culture kiluba-lunda, les Baphende la transposèrent sur le territoire angolais jusqu’à Luanda, au bord de l’Océan Atlantique, avant qu’elle ne s’étende ensuite vers le Nord pour enfin baigner les provinces du Bandundu et du Kasaï Occidental (Tshikapa). A travers les cultures Pende et Yaka, on retrouve la même dans le Bas Congo, après une transition entre le Bandundu, le Kasaï et l’Atlantique.
Comme quoi, la quasi-totalité des peuples implantés en Afrique au Sud de l’Equateur jusqu’en Afrique du Sud, de l’océan Indien à l’océan Atlantique, a eu quelque contact avec les Baluba.
Nombre de travaux érudits, comme ceux de Kabamba Nkamany a Baleme, l’attestent assez clairement :
« Le peuple songye, selon Vansina, serait dans l’emplacement actuel depuis le XVe siècle ; il est probable qu’avant 1500 avant Jésus-Christ, il y ait eu un empire luba qui s’étendait du Tanganika au Kwango, regroupant des peuplades luba disséminées un peu partout dont le peuple songye[8] ».
[1] Il pourrait s’agir ici du Kipito, Kipiti, Gipiti, Kya Baluba, voie de passage des Baluba se dirigeant vers le sud, jusqu’au lac Bangwelo et le Nyasaland.
[2] Mudiji Malamba Gilombe, Le langage des masques africains, études des formes et fonctions symboliques des « Mbuya » des Phende, Faculté Catholique de Kinshasa, 1989, pp.24- 25
[3] Lukanda Lwa Malale, La parenté ethnique entre les Bapende et les Baluba, éd. Kivunge, LubumbashiKinshasa, 2012, p.35, inédit.
[4] Crine-Mavar, op. cit., pp.51-53. C’est nous qui soulignons
[5] Mijimbu Sha Kalau Omer, op.cit. p. 13
[6] Lukanda Lwa Malale, La parenté ethnique entre les Bapende et les Baluba, idem p.23
[7] Mudiji Malamba Gilombe, op. cit.p.25
[8] Kalamba Nkamany a Baleme, op;cit.p.45
Commentaires