EN DIRECTION DU NORD-OUEST
LES BALUBA DU KASAÏ ET LES BENA LULUWA
Généralement, selon la logique soutenue par les tenants de la thèse du primat de Nsanga a Lubangu comme foyer originel des migrations primordiales des Baluba vers le Kasaï (1600-1650), d’après le professeur Mabika Kalanda, il est dit ceci :
A) un premier groupe, les Bena Kanyoka et les Bena Luluwa arrivent au Kasaï au début du XVIIe siècle.
B) une seconde avance vers Dimbelenge au courant du XVIIe siècle. Ce sont lesBakwa Luntu ou Bena Konji.
C) Un troisième groupe, enfin, quitte à la fin du XVIIe siècle, à la suite d’une disette. Il s’agit des groupements de Bakwa Kalonji, Bakwanga, Bakwa Dishi, Bena Tshiyamba et autres encore[1].
Kalonji Ditunga, le futur Mulopwe de l’Etat autonome du Sud Kasaï, lui-même très adonné à la quête étiologique des origines de son peuple, présente une version particulière sur cette séquence migratoire des Baluba du Kasaï :
« Partie du Nord du Katanga, dit-il, à la recherche de nouvelles terres, ces populations s’étirèrent en une très longue file composée de familles et clans qui formèrent plus tard les tribus composantes. Les premiers immigrants se fixèrent dans la région comprise entre les rivières Moyo et Lulua. Ils furent d’abord identifiés comme étant des Bena Moyo. Avec l’extension démographique, ils débordèrent la rivière Lulua et occupèrent de grands espaces au-delà, jusqu’à atteindre la rivière Kasaï. A l’arrivée des premiers explorateurs, les Allemands Pogge et Von Wisman, ils reçurent le nom de Bena Lulua[2] ».

Mais une question demeure : sont-ils tous des Baluba ? Pour Kalonji Ditunga, les choses sont on ne plus claires :
« Qu’il s’agisse des Luba et des Lulua, tous sont de Bena Nsanga Lubangu. Ils ont tous une même origine et, avant l’arrivée des colonisateurs, ils n’avaient jamais connu de conflits entre eux. La dénomination « Lulua » s’est généralisée après la colonisation et à cause d’elle[3] ».
Si sous l’appellation Bena Nsanga Lubangu, on entend « Baluba », il est cohérent d’indiquer que les Bena Lulua font effectivement partie au même titre que leurs congénères de l’ensemble générique des Baluba. A ce sujet, il sied de signaler la grande unanimité qui se dégage autour de cette théorie de la part des auteurs européens et africains. En voici quelques-uns :
VAN ZANDIJCK : « Jusqu’en 1870, toutes les fractions de Bena Luluwa portaient encore le nom de Baluba[4] ».
VERVAECKE : « Jusqu’en 1865, lorsque Kalamba commença son commerce avec les Tshiokwe, toutes les fractions Luluwa s’appelaient des Luba[5] ».
SAMAIN :« Les basongye proviennent des Baluba du Sud du district de Lomami, des environs du lac Samba entre Kabongo et Kamina, de sorte qu’on les considérerait comme un rameau des Balubas[6] ».
VERHULPEN : « On peut admettre aussi que les Baluba du Kasaï soient des Basongye ayant asservi des populations diverses (…)[7] ».
Comme indiqué précédemment et, qu’en remontant en amont de leur migration pré Nsanga Lubangu « les Baluba du Kasaï, les Bakwa Luntu, les Bena Kaloshi, les Bena Luluwa, ont des traditions selon lesquelles ils seraient originaires de l’Est, du pays Lomami[8] ».
Une des grandes faiblesses que vont accuser les descendants de l’empire luba pré Nsanga a Lubangu à la suite de tant de migrations diffractées, c’est la perte de la noblesse qu’induit le Bulopwe.
A en croire Kambay Bwatshia et Mudinga Mukendi, « Le Bulopwe avec sa notion de pouvoir central ayant disparu au Kasaï, les structures de son organisation ainsi que ses emblèmes caractéristiques furent reprises au niveau de chaque « Tshisha » (clan). On pouvait donc distinguer, à part le chef, les « Bakalenga » (qui ont le droit d’acquérir le pouvoir ou qui l’exercent), les « Bilolo » qui ont le pouvoir économique, religieux, législatif et judiciaire), les « Shabikuka » qui sont les anciens dignitaires, les « Lwaba » qui sont les prétendants au pouvoir[9] ».
De tout ce qui précède, il semble que nous soyons confronté ici, au-delà de l’ambiguité dérivant de la localisation du site centripète (de la migration Baluba/Baluba Kasaï) qu’induit la diversité de tant de supputations, à un problème fondamental de dation. Ce qui rendrait l’argument « sangalubanguien » difficile à soutenir. Pour le coup, c’est un argument d’ordre linguistique qui, nous semble-t-il, peut aider à clarifier cette question.
La séparation entre le kiluba et le ciluba, ayant été fixée dans le temps (soit au VIIIe siècle après J.- C.) par l’archéologie linguistique (T. Reefe :1981, p.74.), il nous incombe d’affirmer que le début de l’émigration d’une branche des Baluba vers l’actuelle province du Kasaï remonterait à cette époque. Donc, bien avant l’organisation des empires des Baluba au Katanga. C’est même partant de cet argument linguistique que Verhulpen en est arrivé à expliquer que :
« La différence entre le Kiluba du Kasaï et le Kiluba-Hemba s’expliquerait par le fait que le kiluba du Kasaï serait un ancien kiluba ayant subi des influences Basonge ainsi que des influences des populations trouvées sur place au Kasaï, Bakete, Balalwa[10] (sic) etc. et que le kiluba Hemba serait un ancien kiluba ayant subi les influences Basonge dans le bassin du Lomami et du Lwalaba, des influences Babui (Bakunda etc.) entre le Lwalaba et le Tanganika et plus tard au Lomami, et des influences Babemba (Batumbwe et Batabwa) dans la région du Tanganika[11].
Ceci veut dire simplement que : Kiluba + Kisonge + Kikete + Kilwalwa + Kibindi +… ont engendré le Ciluba (Tshiluba) dans sa forme actuelle. Une telle évolution socio-linguistique n’a pu se produire que sur le long terme, si tant est que la profondeur chronologique se situe dans la fourchette de 2300 ans (naissance de la civilisation des Baluba, d’après l’archéologie) et 800 ans (première séparation entre le kiluba et le ciluba).
LES BALUBA BIIN KANYOK
Comme l’a montré Mabika Kalanda, les Kanyok font partie des premiers migrants qui, se séparant du foyer primordial katangais, ont pris la direction du Kasaï actuel dès le XVIIe siècle. A leur sujet, De Jonghe écrit :
« (…) Des traditions dignes de foi font descendre ces deux peuplades (Bene Kanyoka et Basonge de Lumpungu) de Baluba du Sud (=locuteurs du kiluba). Consultons les cartes d’il y a quarante ans (1880), cartes dressées par les premiers voyageurs qui parcoururent les premiers ces régions, nous y trouvons un empire des Baluba. Mais à côté de cet empire figure le royaume de Mozembe de Bena Kanyoka. Donc, il y a 40 ans, les Baluba et les Bena Kanyoka formaient de groupes politiques séparés[12] ».
Et le professeur Timothée Mukash Kalel d’ajouter :
« Selon la tradition orale, les Kanyòk (Biin Kanyòk comme ils s’appellent eux-mêmes) sont une branche de Baluba de Kasong a a Nyembw ou Baluba du Katanga, branche qui, à la recherche de gibier et des terres fertiles, a traversé la rivière Lubilanji pour s’installer où elle est maintenant. Cette branche reconnaissait l’autorité du grand chef Muloh’ Kasong, avec lequel elle entretenait les relations de vassalités[13] ». Toujours est-il que la date à laquelle les Kanyòk cessèrent de s’appeler Baluba n’est pas connue.
LES BALUBA DU BAS-CONGO
L’expansion des Baluba vers l’actuel Bas-Congo est un fait historique indiscutable. Une bonne lumière nous est apportée quant à ce par Jan Vansina :
« Durant cette période de l’histoire, et peut-être plus tôt, ces Luba (Kasaï) s’étaient répandus peu à peu, sans doute lignage par lignage, dans la vallée du Lulua et vers le sud-ouest dans les terres des Mbagani, des Mbal, des Kongo, des Lwalwa et même des Sala Mpasu. Ils rencontrèrent des groupes Kete dans tout le territoire situé à l’Ouest du Lulua et les absorbèrent lentement. (…) Il est important de se rappeler que vers 1880, les émigrants étaient encore des Luba Kasaï exactement pareils à ceux qui étaient restés dans leur pays d’origine et que la division tribale entre les Lulua et les Luba, si importante aujourd’hui, est d’une origine plus récente. Selon les traditions, ces migrations furent occasionnées par de grandes famines dans la région comprise entre Lubi et Lubilash, puis plus tard par des guerres avec le principal royaume Luba et enfin après 1850 par les troubles créés par les trafiquants d’esclaves Cokwe et Arabes[14] ».
Après avoir traversé le Fleuve Congo, les Baluba abordèrent son embouchure et générèrent une nation dans la région de Pointe Noire : « les Bavili de la République du Congo[15] ».
Ces derniers racontent que leur ancêtre, provenant de la République Démocratique du Congo, se nommait Kibambe Lomami, c’est-àdire Kibambe « l’originaire de la contrée où coule la Lomami ».
Nom courant chez les Basonge du Lomami ou chez les Baluba du Haut-Lomami.
[1] Mabika Kalanda, cité Muya Bia Lushiku, op.cit. pp.23-24
[2] A. Kalonji Ditunga Mulopwe, Congo 1960. La sécession du Sud Kasaï. La vérité du Mulopwe, ed. Kakangaji, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 64.
[3] Idem, p. 63.
[4] P. Van Zandijcke, Pages d’histoire du Kasaï, p. 7, cité par Mpoyi Mwadyavinta, op. cit., p. 241
[5] R. Varvaecke, « Les Bena Luluwa », in Revue Congolaise, Bruxelles, 1910, p. 69
[6] R. P. Samain, La langue kisongye, cité par E. Verhulpen, op. cit., p. 17.
[7] E. Verhulpen, op. cit., p. 17.
[8] Idem, p. 58.
[9] Kambay Bwatshia et Mudinga Mukendi, Le « Citancisme » au cœur de l’évolution de la société luba Kasaï. Sens et non-sen d’une mentalité, Kinshasa, 1991, pp. 21-22
[10] S’agit-il des Balwalwa actuels ?
[11] E. Verhulpen, op.cit., p.45-47.
[12] De Jonghe, op. cit., p. 751.
[13] Mukash Kalel, Essai de grammaire Kanyok (L32) : phonologie, morphologie, syntaxe, pp. iii-iv, 2014.
[14] J. Vansina, op. cit., p. 16.
[15] Informations recueillies auprès du spécialiste aéraunautique Loembet, un Vili de Pointe Noire très au fait des choses de sa culture.
One Reply to “LES BALUBA DU KASAÏ ET LES BENA LULUWA”
Russell, décembre 9, 2024
Nous sommes les seuls baluba et les autres sont soit de souche de chez nous soit des purs voleurs de notre Buluba