AVERTISSEMENT
Il est crucial de noter que, sauf indication contraire, les dates énoncées dans cet article se réfèrent au calendrier Kiluba, dont l’année zéro coïncide avec l’an -25. Pour faciliter la conversion entre ces deux systèmes, retenez simplement ceci : l’année 2050 correspond en fait à l’année 2025. Donc, pour convertir une date, il suffit de retirer 25 ans de l’année kiluba pour obtenir l’année grégorienne correspondante. Alors que le système de numérotation du calendrier grégorien ne contient pas de zéro, celui du calendrier kiluba inclut ce chiffre. Par conséquent, la première centaine d’années s’étend de l’an 1 à l’an 100, tandis que la seconde centaine d’années commence en l’an 101
Au sein de la politique impériale kiluba, quatre personnages clés ont laissé leur empreinte sur l’histoire politique des Baluba : Kalenga Masanza Mamba, Nkumwimba Nkongolo Mwamba, Ilunga Kakenda Mbidi Kiluwe et Ilunga Lwaala Misaha. Ces quatre personnages ont, grâce à leur détermination inébranlable, mis en place des politiques sociales et politiques qui ont abouti à l’unification politique de tous les Baluba. Ils ont ainsi donné naissance à l’État – nation kiluba, qui a supplanté les premières structures politiques tribales où chaque tribu gouvernait de manière autonome. Il est important de clarifier notre propos : lorsque nous affirmons que ces personnages ont unifié les Baluba, nous ne sous-entendons pas qu’ils ont créé une ethnie ou une nation baluba. Ces personnes étaient des Baluba. Elles ont simplement rassemblé toutes les tribus kiluba sous une seule direction politique.
Chaque individu a contribué à sa manière à l’unification des Baluba. Kalenga Masanza Mamba a été le pionnier de la politique visant à rassembler tous les Baluba. Il a initié Nkumwimba Nkongolo Mwamba à l’importance de l’unification de tous les Baluba. Après le décès de Kalenga, Nkongolo Mwamba, qui lui a succédé, a continué sur la voie tracée par son prédécesseur. Il a réussi à unir sous une seule direction politique trois royaumes ainsi qu’une centaine de chefferies autonomes. En même temps, Ilunga Kakenda Mbidi Kiluwe arriva à Mwibele Ntanda, la première capitale politique des Baluba. Il introduisit l’idéal civilisationnel basé sur le Butobo au sein de l’unité politique des Baluba. Il épousa les sœurs de Nkongolo Mwamba, Nongo Ndayi (Bulanda) et Kabange Ndayi (Mabela). Nongo Ndayi Bulanda donna naissance à Ilunga Lwaala Misaha, tandis que Kabange Ndayi Mabela enfanta Nshimba et Kisula. Ilunga Kakenda Mbidi Kiluwe a apporté une contribution significative à l’unité politique des Baluba en introduisant des dimensions civilisationnelles cruciales, telles que le concept du Bulopwe, les institutions sacrées et la spiritualité. Ilunga Lwaala Misaha a, quant à lui, consolidé l’unification générale des Baluba en intégrant les royaumes de Buhémba et de Kinkondja.
Cette étude se consacre à la découverte de Nkumwimba Nkongolo Mwamba. Il est important de souligner qu’il ne sera pas question ici d’aborder les débats secondaires sur son appartenance ethnique, même si plusieurs récits divergent à ce sujet. Toutefois, des travaux tels que ceux de Lukanda Lwa Malale et Ilunga Sendwe ont démontré, sur la base de données historiques, linguistiques, ethnologiques et sociologiques, que Nkongolo Mwamba était ethniquement Múlúba. Selon ces sources, il serait né, aurait vécu et serait mort sur le territoire de Kabongo, une région peuplée exclusivement par l’ethnie kiluba depuis ses origines (Lukanda, 2018 : 138-160). Cette affirmation est appuyée par les propos de Mutonkole, qui affirme : « Il n’existe pas dans le pays des Baluba un mythe ou une tradition le présentant (Nkongolo Mwamba) comme étranger à la communauté des Baluba. C’est sûr que les autres peuples qui se réclament de lui ont vécu dans les marches de l’empire » (Mutonkole, 2007 : 116).
Cette étude se concentre exclusivement sur la famille biologique de Nkumwimba Nkongolo Mwamba, son lieu de naissance, sa vie, son idéal civilisationnel pour la réunification politique des Baluba, ainsi que la période de son règne sur l’Empire Kiluba.
Nkumwimba Nkongolo Mwamba : un mythe fondateur ?
Dans la littérature coloniale belge et dans la communauté scientifique occidentale en général, Nkumwimba Nkongolo Mwamba est souvent décrit comme une figure légendaire. Des écrivains, dont Lucas Andrew Stephane, Luc De Heusch, Thomas Q. Reefe, Pierre de Maret, Jan Vansina, Mary Nooter Roberts et Pierre Petit, qui se sont penchés sur l’histoire des Baluba, sont d’accord pour décrire le personnage de Nkumwimba Nkongolo Mwamba comme une figure mythique. Thomas Q. Reefe suggère que le nom de Nkongolo Mwamba trouve son origine dans la mythologie des Lunda, réinterprétée par les Baluba pour justifier leur pouvoir politique (Reefe, 1981 : 54). Cependant, nous ne nous attarderons pas sur les arguments de ces auteurs, car nous avons déjà mis en évidence les lacunes de leurs analyses. Ces interprétations sont influencées par le poids idéologique du paradigme historique européen, qui se reflète dans de nombreuses analyses de l’historiographie africaine dans les départements d’histoire, d’anthropologie, de sociologie et de sciences politiques des universités européennes. Ces universités abordent les réalités africaines à travers leur propre vision de l’histoire des Africains. Il est justifié de s’interroger sur la véracité historique de la tradition orale concernant Nkongolo Mwamba. En effet, il y a des preuves onomastiques, ethnographiques, historiques, orales, matérielles, physiques et morales qui attestent de son existence humaine. Selon Mutonkole Lunda wa Ngoyi, Nkumwimba Nkongolo Mwamba et d’autres personnages historiques similaires ne sont pas des mythes (Mutonkole, 2007, p. 110-124). Il soutient d’ailleurs que :
« Un fait mérite d’être signalé : les lieux où ont vécu les empereurs et ceux où s’étaient passés des événements importants existent jusqu’aujourd’hui, avec leurs noms anciens, vieux de plusieurs siècles. Celui que la tradition présente comme le premier empereur s’appelle Nkongolo Mwamba et il a vécu à Mutombo Mukulu (territoire de Kanyama) et à Mwibele (territoire de Kabongo). Il est mort à Kayi (territoire de Kabongo). Kalala Ilunga déplace sa capitale et s’installe à Munza (territoire de Kabongo). On l’appelle Mwine Munza, le Maître de Munza » (Mutonkole, 2007 : 130).
Cette citation nous permet d’émettre l’hypothèse que Nkumwimba Nkongolo Mwamba n’était pas une figure mythique. En effet, sa capitale politique, Mwibele Ntanda, porte encore son nom aujourd’hui, et les anciens de la région sont en mesure de nous indiquer l’emplacement exact de son palais royal. En outre, une maxime en kiluba atteste de manière éternelle de son existence humaine, symbolisant ainsi l’empreinte profonde que son héritage a laissée sur notre mémoire commune. Ce proverbe dit :
« Une chefferie orientale dans le territoire de Manono porte le nom de Bakongolo (elle couvre les cités Kantébá et Lu : bá à Manono). Les gens de Nkongolo se sont installés dans le territoire de Malemba Nkulu (Badya), de Manono (Bakongolo)… selon Kissiki Pierre (1995 : 46), les Bakongolo sont les guerriers ayant lutté avec Nkongolo et contre Kalala Ilunga. Il écrit, en effet : « L’un de ces facteurs est énoncé sous forme de dicton populaire ci – après : « MUYUMBA Kyamwene ne Kiluba kyabula kiaabwile ». Ce dicton exprime d’une manière laconique les vestiges d’un passé qui remonte à une époque sortie de la mémoire à cause de son ancienneté. Sa traduction peut être résumée de la manière suivante : « Muyumba, le premier les vit venir. Tandis – que Kiluba les aida à traverser le fleuve ». Qui sont – ils, ces hommes ? Ce sont des guerriers qui venaient avec tout ce qui pouvait les caractériser. Ils marchaient contre l’ancien Kalala Ilunga et ses partisans. C’est – à – dire les Bakongolo. On raconte que certains poursuivants de Kalala Ilunga étaient emportés sur leur radeau par ce courant du fleuve et échouèrent sur une terre où ils formèrent un village qu’ils baptisèrent Kongolo. C’est l’actuel Kongolo, où ils résident des Baluba, des Bahemba et des Basonge » (Mutonkole, 2007 : 113).
Ce texte décrit une scène historique qui s’est déroulée sur les rives du fleuve Lwalaba. On raconte qu’Ilunga Lwaala Misaha, mieux connu sous le nom de Kalala Ilunga, a échappé à l’attentat contre sa vie que son oncle, Mwibele, avait ourdi contre lui. Il a alors décidé de rejoindre son père afin d’obtenir son aide pour combattre Nkongolo Mwamba et le renverser par la force (Womersley, 1984 : 7-11). Arrivé au bord du fleuve, il fut repéré par Muyumba, qui refusa de l’aider à traverser. Peu de temps après, un autre piroguier nommé Kiluba l’aperçut et l’aida à traverser. Après avoir atteint la rive opposée, Kalala Ilunga, alias Ilunga Lwaala Misaha, ordonna à Kiluba de s’assurer qu’un groupe d’hommes à la peau claire ne puisse pas traverser le fleuve. Par conséquent, Kiluba fit passer toutes les pirogues de l’autre côté. Lorsque Nkumwimba Nkongolo Mwamba et sa troupe arrivèrent, ils ne purent pas traverser le Lwalaba. Les hommes de Nkongolo tentèrent de construire des bateaux à l’aide de tiges et de joncs, mais leurs efforts échouèrent, causant de nombreuses pertes humaines (Colle, 2021 : 350-356). Nkumwimba Nkongolo Mwamba ordonna aux soldats de surveiller le fleuve au cas où il reviendrait. Ces hommes établirent un campement qu’ils nommèrent Kongolo, qui est devenu la ville actuelle de Kongolo dans le territoire de Kongolo, en province du Tanganyika.
Ayant rejoint la résidence paternelle à Membe, Kalala Ilunga rassembla des troupes et fit route vers Mwibele. Arrivé sur place, il apprit que Nkumwimba Nkongolo Mwamba avait cherché refuge à Kayi. Sans hésiter, Kalala envoya ses soldats dans cette localité, où ils éliminèrent Nkongolo Mwamba. Des rites funéraires furent ensuite organisés, suivis de cérémonies royales. C’est ainsi que Kalala Ilunga accéda au trône en tant que troisième dirigeant de l’Empire Kiluba. Il choisit Munza comme nouvelle capitale, adoptant alors le nom royal de « Mwine Munza ». En reconnaissance de l’aide apportée par Kiluba, le piroguier, le nouveau souverain retourna au Lwalaba. En signe de gratitude, il lui offrit un vaste territoire qui devint le royaume de Kiluba. Ce royaume existe toujours dans le territoire de Manono. C’est ainsi que ce proverbe kiluba est apparu, enracinant cet événement dans la mémoire collective et constituant une source précieuse pour l’histoire sociale des Baluba. Il semble peu probable qu’un tel dicton existe sans un événement réel qui en soit à l’origine. Plusieurs témoignages oraux, matériels, onomastiques et historiques attestent de son existence. Certains auteurs ont toutefois tenté de le reléguer au rang de mythes et légendes. Toutefois, pour les populations autochtones, les personnages de Nkumwimba Nkongolo Mwamba, Kalala Ilunga et Ilunga Luhefu ne sont pas considérés comme des figures légendaires ou mythiques, mais bien comme de véritables souverains ayant réellement vécu. Mutonkole relate également un autre événement historique prouvant l’existence humaine de Nkumwimba Nkongolo Mwamba. À ce propos, il écrit :
« À la suite de ce dernier (Kalala Ilunga), Banza Mijibu wa Kalenga émigra vers l’actuel groupement Kisula, dans la collectivité – secteur de Badya. Il s’installant à un endroit où il y avait des lacs et des rivières et commença à exercer son métier de prêtre qui intercède en faveur du peuple et du pays (Kitobo) et de prophète (Kilumbu). Le village qu’il fonda s’appelle Mijibu. Il serait devenu, comme tous les hommes puissants de son temps, un mukishi, un esprit ou un génie. On le situe dans un lac du groupement Kisula où il garderait, croit-on, les autres esprits (mikishi) : Muta, Longo, Nshimba Ndala. Mijibu est le village où se déroulent les cérémonies d’intercession (Butobo) en faveur de la contrée de Kisula et d’arrangement des difficultés du peuple. Pour révéler à quelqu’un ses problèmes, le génie Mijibu devait au préalable indiquer ce qu’il fallait lui dire. C’est aussi le nom d’une rivière aux crabes et de l’espace de cette rivière. Un autre village, Mijibu Nkongolo, est un lieu sacré d’intercession. IL FUT CRÉÉ PAR UNE PARTIE DES HOMMES DE NKONGOLO. Certains avaient été emportés par les eaux quand ils voulaient traverser le fleuve, à la poursuite de Kalala, et allèrent former la cité de Kongolo. Certains apprirent l’histoire de leur frère Mijibu et rentrèrent de Kongolo pour rejoindre ce dernier. Ils formèrent leur village Mijibu ya Nkongolo, qui existe jusqu’aujourd’hui. Ils commencèrent à intercéder auprès de l’esprit Banza Mijibu. Une famille porte ce nom même actuellement » (Mutonkole, 2007 : 82).
En 1930, Harold Womersley avait déjà recueilli un récit historique faisant état du passage de Nkumwimba Nkongolo Mwamba dans la région correspondant aujourd’hui à celle de Kongolo. Il note :
« Un autre lieu où Kongolo semble avoir vécu pendant quelque temps est l’île de Kongolo, une grande île sur le fleuve Lualaba, près de la ville actuelle de Kongolo, et qui serait le point le plus septentrional de ses voyages. J’ai évoqué le sujet avec le chef de la localité et les personnes influentes. Ils étaient indignés que les Européens aient attribué à leur ville, bâtie pour accueillir le bateau à vapeur et les ateliers ferroviaires, le nom de Kongolo. Ils soutiennent qu’il était un étranger du sud qui a ravagé le pays avant de finalement repartir vers le sud. En effet, l’île a été nommée Kongolo en l’honneur de cet ancien despote, qui en avait fait sa base de pillage pendant quelques années (Womersley, 1984 : 2).
Ce récit dépasse les descriptions occidentales ironiques et superficielles en mettant en évidence le fait que Nkumwimba Nkongolo Mwamba s’était déjà établi dans la région de Kongolo avant d’affronter Kalala Ilunga. Cet établissement s’inscrivait dans le cadre des campagnes militaires liées à la guerre d’unification politique des Baluba, que nous examinerons plus en détail. Comment pourrait-on nier l’existence historique de Nkumwimba Nkongolo Mwamba face à de telles preuves ? En outre, il faut noter qu’un village nommé Kakongolo se trouve dans le territoire de Malemba Nkulu. Selon la tradition orale, ce village, situé à la limite des territoires de Kabongo et de Malemba, aurait été fondé par Nkongolo Mwamba en personne. Ces éléments montrent clairement que cette personne n’est pas une légende, mais bel et bien une figure historique importante pour la région.
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